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Abel Quentin : “Le roman ne fige pas la pensée”

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Quand la fiction éclaire notre époque. C'est le cas du roman puissant d'Abel Quentin qui règle son compte à l'époque du bruit et des anathèmes dans laquelle nous vivons. Rencontre vivifiante avec l'auteur du "voyant d'Etampes", éditions de l'Observatoire, encore en lice pour les prix d'automne.

Photos PATRICE NORMAND

C’est l’histoire de Jean Roscoff, ancien militant de SOS Racisme, universitaire récemment retraité, qui décide de rattraper ses “ratés” en se lançant dans l’écriture d’un livre sur Robert Willow, un poète américain ami des existentialistes, mort au volant de sa voiture dans l’Essonne et quelque peu oublié. De ce pitch simple, Abel Quentin tire un roman dense, puissant, profond et passionnant sur la France, ses débats farfelus, ses indignations “éveillées”, ses militants de l’égalité qui ne pratiquent que l’exclusion de qui ne pensent pas comme eux. L’écriture est virevoltante, le propos est caustique et intelligent. Voilà ce que nous écrivions le 17 septembre dernier quand nous décidions de faire du Voyant d’Etampes d’Abel Quentin (Editions de l’Observatoire) l’un de nos coups de cœur du vendredi. Nous avons eu envie d’aller à la rencontre de cet auteur atypique qui ausculte notre époque avec les outils du romancier, c’est-à-dire la nuance, la complexité, l’expérience sensible et la narration.

Abel Quentin 08Qu’est-ce qui a déclenché l’envie d’écrire ce livre et cette histoire ?

Abel Quentin : Il y a plusieurs déclencheurs, en fait. Plusieurs choses se sont télescopées à quelques jours d’intervalles alors que je vivais une panne d’écrivain dans un projet de livre que je ne parvenais pas à avancer. A ce moment-là, j’ai lu un article concernant l’annulation de la sortie américaine d’un livre de Timothée de Fombelle où il raconte l’histoire d’une jeune esclave en Géorgie au 19e siècle. Son livre est décommandé aux USA car on lui fait comprendre qu’en tant que blanc, il ne peut décemment pas raconter l’histoire d’une jeune femme noire. Lui s’est plié un peu rapidement je trouve en déclarant qu’il comprenait. Au même moment, un autre article dans Le Monde me narre l’histoire de la maison de James Baldwin à Saint-Paul de Vence, puis des discussions avec mes amis sur le devenir de la fiction et l’avenir du roman dans un monde où écrire sur autrui est de plus en plus vu comme une prédation et un vol. Cette démarche d’écrivain est menacée. Tout cela créé une ambiance intellectuelle.