Ce mois-ci, dans la bibliothèque des politiques, Guillaume Gonin est parti à la rencontre de Sandrine Rousseau, révélation de la primaire des écolos à l'automne 2021. L'effet Rousseau est radical : soit elle agace profondément, soit elle donne envie de devenir militant. Comme souvent avec les livres et la littérature, la nuance est un peu de retour. Rencontre.
Photos : Cyril JOUISON
Chaque année, je propose aux étudiants de Sciences Po Bordeaux un exercice de simulation. L’année dernière, il consistait à écrire le discours annonçant un successeur à Jean Castex – ou plutôt une successeuse. En effet, copie après copie, plus d’un tiers d’entre eux nommèrent ainsi Sandrine Rousseau à Matignon, vice-présidente de l’Université de Lille et conseillère régionale des Hauts-de-France. Une illustre inconnue du grand public, mais qui captait manifestement déjà l’attention d’une partie de la jeunesse. Depuis, celle qui fut battue sur le fil par Yannick Jadot lors des primaires écologistes est devenue une voix qui porte, un visage que l’on reconnaît. Ou, plutôt, un double visage : égérie d’un monde nouveau pour les uns, Shiva destructrice pour les autres, elle cristallise nos fractures, entre espoirs et craintes, Janus réincarnée dans l’archipel français. Un rapide coup d’œil sur sa bibliographie me convainc de lui proposer la bibliothèque des politiques, tout en me laissant perplexe : est-elle vraiment l’autrice de deux polars régionaux ?
A ma grande surprise, elle accepte illico ; quelques jours plus tard, me voici donc à Lille en compagnie de Cyril, mon complice bordelais. Sandrine Rousseau nous accueille chez elle, son sourire (et ses écouteurs) nous indiquant qu’elle est au téléphone. Car le hasard a voulu que nous arrivions au moment de l’annonce du retrait de Nicolas Hulot de la vie publique. Janus n’est-il pas le dieu de la fin et des commencements ? Sollicitée par les médias, elle s’excuse par avance des interruptions à venir ; toutefois, loin de lui faire perdre le fil, ces coupures conféreront à l’entretien un certain rythme, et même du suspense dont elle saura jouer. Haussant la voix pour couvrir le bruit du percolateur, elle nous invite à prendre place au salon, dont les canapés jaunes constituent le royaume d’Igloo, son chat. « Je n’ai rien préparé », confesse-t-elle dans un éclat de rire, en nous apportant les cafés. Tant mieux : la discussion n’en sera que plus sincère, libre, drôle – inattendue, aussi.
* * *
Avant de connaître la lectrice, j’aimerais évoquer l’autrice. On vous savait autrice d’essais et de livres économiques ou d’un livre de témoignage lors de l’affaire Denis Baupin, mais j’avoue avoir découvert pour cet entretien que vous étiez également autrice de polars !
Sandrine Rousseau : Je ne suis pas sûre d’en être complètement fière (Rires). Mais ces polars étaient déjà féministes et écologiques, étonnant non ? Le premier a été écrit entre mon doctorat et l’entrée à l’université : je travaillais aux ressources humaines d’une grande entreprise et je trouvais mon chef stupide à un point qui défiait l’entendement. La journée, je notais littéralement ses remarques, et le soir je les retranscrivais, le dépeignant en inspecteur. Cela me détendait. Il s’agissait déjà d'une certaine forme d’impertinence. C’était il y a 25 ans mais je ne crois pas avoir beaucoup changée.
Pourquoi le polar ?
Sandrine Rousseau : A l’époque, j’en lisais pas mal. Mais j’étais agacée par la forme classique du polar, cette espèce d’inspecteur un peu solitaire, un peu alcoolique, homme à femmes, torturé. Ça m’a gonflée ! Dans le mien, il est donc complètement stupide : il rate tout ce qu’il entreprend. (Rires)
Et votre second ?
Sandrine Rousseau : J’étais moins inspirée, mais j’avais trouvé cela facile à écrire par rapport à un livre d’économie. Vous savez, comme quand vous devez réviser le bac mais que vous regardez la télé. C’était la même chose.
Tout le monde n’écrit pas un livre pour fuir ses responsabilités …
Sandrine Rousseau : Je reconnais que c’est un peu mon truc. J’ai un esprit qui fonctionne bizarrement, nous ne sommes pas toujours amis, lui et moi. Mais pour le canaliser, j’ai besoin de l’écriture. Ça m’apaise et ça me permet de penser en longueur, de me connecter à mes sensations.
Ecrivez-vous des choses qui n’ont pas vocation à être publiées ?
Sandrine Rousseau : J’ai énormément de carnets. Mais c’est le bazar : on y trouve des éléments très politiques, des chiffres à retenir, au milieu de pensées envahissantes. Par exemple, pendant la campagne des primaires EELV, j’avais une quantité de chiffres à retenir phénoménale, mais de la poésie pouvait se glisser au milieu d’une page consacrée à la sortie du pétrole.
Êtes-vous donc une lectrice éclectique ?
Sandrine Rousseau : Pas vraiment. Je lis assez peu de romans, voire très peu, Je lis surtout des essais, des livres politiques et économiques, des témoignages personnels, où je peux puiser des informations. Mon compagnon m’explique régulièrement que la science-fiction lui permet de comprendre la société, d’imaginer l’avenir. Moi, je suis très loin de cela, ça ne me transporte pas du tout ! J’ai besoin de la réalité pour me projeter. C’est pourquoi j’ai beaucoup de mal à me laisser envahir par un roman. Alors qu’un essai peut m’emporter. C’est un peu contre-intuitif, non ?
J’imagine qu’il existe des contre-exemples …
Sandrine Rousseau : Oui, les romans biographiques. J’étais fan de Marguerite Duras, par exemple. Les récits personnels me permettaient de ressentir de l’empathie. Mais cela reste très ancré. J’ai du mal à m’élever, je ne suis pas très spirituelle ! (Rires) J’ai aussi été passionnée par la montée du fascisme. Pourtant, adolescente, jeune adulte, et même pendant ma thèse, ma tête était dans les romans. Je me plongeais dans les livres d’économie à regret !
Et puis ça s’est complètement inversé. J’ai découvert les essais. Galbraith, notamment, m’a emportée : il créé du suspense dans les livres d’économie. Je n’arrivais pas à lâcher les livres de Stiglitz et les classiques de l’économie de l’environnement.
Pourquoi vous être dirigée vers l’économie ?
Sandrine Rousseau : Tout simplement parce que l’économie impliquait d’étudier à Poitiers, soit à 150 kilomètres de chez mes parents, à La Rochelle. Ce qui était ma motivation première !
Vous avez donc fait de bonnes choses pour de mauvaises raisons.
Sandrine Rousseau : C’est un peu l’histoire de ma vie : je ne fais pas toujours de vrais choix, mais avec le recul, j’en suis heureuse. (Rires)
Quand avez-vous compris que vous étiez sur la bonne voie ?
Sandrine Rousseau : Le premier jour de cours, dans l’amphi. Je me souviens m’être dite : « là est ma place ». Cela m’a paru évident ! La preuve, d’ailleurs, est que je suis toujours dans les amphis.
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