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Powers : “Je crois encore à la volonté de notre émerveillement”

Richard Powers 04

“Sidérations”, le nouveau roman de Richard Powers est superbe. Tout à la fois ode à la beauté du monde et plaidoyer pour une nature préservée, il pose un regard désabusé  sur l’occident en perdition. C’est surtout un roman puissant sur la parentalité qui narre la relation entre un père  astrobiologiste et son fils, hypersensible et dévasté par le décès des sa mère, qui ressent chaque offense faite à la terre comme une insulte personnelle. Chaque livre de Powers est une interpellation ainsi qu’une histoire puissante racontée aux lecteurs. Rencontre avec l’un des auteurs américains contemporains les plus passionnants. Au menu : littérature, fiction, écologie et sens de l’écriture.

Photos Patrice NORMAND

Qu’est-ce qui vous a inspiré ce roman ?

Richard Powers 16Richard Powers : J’ai commencé par m’intéresser à des personnages adultes. Mais au bout d’une centaine de pages, je me suis aperçu que cela ne fonctionnait pas. À l’époque, j’étais confiné dans la partie la plus extraordinaire de l’Amérique : les Smoky Montains. J’ai mis de côté le roman, et je suis allé me promener autour de chez moi. Je me suis rendu compte qu’il y avait des tas de choses enthousiasmantes dans le fait de regarder le monde et la nature. Cela m’a libéré. Jour après jour, sans trop d’angoisse au sujet de ce roman inachevé, j’ai vite eu l’impression d’un enfant sur mes épaules. C’est alors qu’en songeant à cet enfant, j’ai compris qu’il devait être au cœur de mon roman. Cet enfant, neurodégénératif, allait interroger son père et à travers lui, le monde et notre humanité.

Pourquoi choisir comme héros un enfant différent ? Pour nous dépeindre, dans un monde à l’envers, l’aveuglement des adultes face à une jeune génération lucide ?

Richard Powers : Absolument. En arrière-plan de mon roman, il y a l’allégorie de la caverne. Se détacher des idées reçues, ne plus les accepter comme valables, faire un pas de côté, cela vous entraîne dans une révolution mentale. On se rend compte alors que les discussions et les symboles que nous échangions dans la caverne n’ont plus de sens. Quand on sort à la lumière, on réalise combien on s’est leurré et on ressent un nouvel élan d’empathie et de compréhension de notre environnement.
À mes yeux, la révolution des consciences est nécessaire si l’on veut pouvoir survivre sur notre planète. “Sidérations” est dans la continuation de “L’arbre-monde”, roman qui décrit en détail notre aliénation par rapport au monde du vivant. L’humain n’est pas un élément isolé et autonome, mais une composante d’un monde interdépendant aux réciprocités complexes.

Vous confrontez un astrobiologiste à un enfant. Ce schéma fonctionne très bien au niveau narratif. Était-ce un moyen pour vous d’explorer à la fois l’infiniment grand et l’infiniment petit ?

Richard Powers : Oui, complètement. La profession de mon héros adulte est à la fois extrêmement intense, mais également très effrayante pour son fils de 9 ans. Il lui raconte la vie sur d’autres mondes, et comment celle-ci peut s’étendre. Ce sont deux personnages au milieu du cosmos.

“Raconter les similitudes dans la différence”

Vous même, où vous situez-vous ? Dans l’infiniment grand ou dans l’infiniment petit ? Richard Powers 09

Richard Powers : J’essaye d’écrire des histoires qui relient les deux. Mais ça reste une posture intellectuelle. Ce que je tente de faire dans ma vie comme dans les livres, c’est utiliser la beauté de la conscience humaine pour voyager librement dans le monde, entre le ressenti et le savoir, entre l’individu et le collectif. C’est cela la puissance unique de la fiction. Elle nous permet de nous voir en tant que petit élément d’une image immense, mais aussi d’être inspirés par l’image elle-même et de comprendre que nous sommes tous interdépendants.

“Sidérations” comme “L’arbre monde”  évoque les ramifications du vivant. Vos précédents livres s’intéressaient quant à eux à l’humain. Pourquoi ce changement de focale ?

Richard Powers : Pendant la plus grande partie de l’histoire littéraire, l’humain et le vivant occupaient peu ou prou la même place. On n’était pas encore dans l’illusion de l’autonomie, de l’auto-fabrication, de notre indépendance vis-à-vis du reste du monde vivant. L’humain comme le centre de toute chose, indépendamment du monde vivant, arrive dans la dernière partie du XIXe siècle pour ensuite devenir central dans toute notre littérature. La mienne y compris. Dans ce sens, en s’intéressant à ce que l’homme pouvait engendrer et comment il pouvait réparer -telle ou telle chose – nous pensions, je pensais, que nous pouvions comprendre le monde dans son entièreté. Je n’en suis plus certain aujourd’hui, et je pense au contraire que l’humanisme du XXIe siècle est celui ou l’homme et le vivant se parlent, interagissent l’un avec l’autre et font attention l’un à l’autre, justement. Aucun ne doit prendre le contrôle de l’autre.

Quelle émotion peut être moteur de changement ? Dans le livre, vous mobilisez la colère, l’étonnement, l’émerveillement, l’indifgnation…. On pense à Greta Thunberg…

Richard Powers : Oui elle m’a inspirée, évidemment. Son autisme est un super pouvoir. Comme la maladie neurodégénérative de Robin, mon personnage. Ils ont en commun le partage de l’enthousiasme. En lien avec un monde plus qu’humain. On peut aller ailleurs avec Robin. Je crois encore à la volonté de notre émerveillement.

Richard Powers 05La relation père-fils, est aussi au cœur de ce roman…

Richard Powers : Cette question de la parentalité est centrale. Comment protéger cet enfant inhabituel ? Cela rend la parentalité plus incertaine encore. Mais au fond, en lui racontant les histoires des exoplanètes, il rentre en discussion avec lui. Il fait un pas de côté pour parler à son fils et l’écouter. Mon ambition dans ce livre est de raconter des similitudes dans la différence. Celles du père et du fils, celles du monde humain et du monde non humain, celles de la planète Terre et des exoplanètes. Au fond, le projet de ce roman est de retisser les liens brisés entre mes personnages, entre l’humain et le non-humain, et entre les individus et la globalité.

“La vie est une chose qu’il faut cesser de vouloir corriger” dit votre narrateur… Vous étiez scientifique pour tester des hypothèses. Le romancier que vous êtes fait-il de même ?

Richard Powers : En effet ! Les deux métiers se ressemblent plus qu’on ne le croit. L’un et l’autre sont dans l’exploration, dans le regard sur le monde. Est-il empirique ou lyrique ? Ou au contraire cela peut-il s’unir dans toutes les disciplines avec l’art et la musique. La seule chose que les humains partagent c’est cette idée de l’étonnement et de la sidération.  Mon inspiration vient de là. L’étonnement qui est une façon de regarder le monde. Le but de nos vies est d’unir nos regards.

Tous les entretiens d’Ernest sont là. L’article de Tanguy Leclerc sur Sidérations, est ici.

2 commentaires

  • David bonjour,
    Une suggestion. Je n’ai pas la même capacité de lecture que toi. J’ai déjà une liste de livres à lire bien chargée. Pour autant La fille parfaite, et Sidération m’intéressent. Pourquoi ne pas rajouter comme sur Amazon ou d’autres site, un onglet « Listes d’envie », une façon de les mettre de côté sans les acheter de suite sans être vraiment sûr de les lire ? Je t’embrasse.
    Hervé

    • Cher Hervé,
      Merci de ton message.
      Cette possibilité existe déjà. (mais elle est mal mise en valeur).
      A côté de chaque article il y a une petite étoile. Si tu cliques dessus, l’article se glisse en favori dans ton marque page.
      Pour retrouver le marque page il faut aller sur ton interface abonné et tous les articles mis en favoris s’y trouvent.
      JE t’embrasse

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