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Un soleil dans la nuit

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Impossible pour Tanguy Leclerc ce mois-ci de passer à côté de la puissance évocatrice de la couverture de « Sidérations ». Sur fond d’une relation filiale bouleversante, Richard Powers mêle une nouvelle fois habilement science et psychologie dans un récit qui condamne l’aveuglement des hommes face au désastre écologique qui nous guette. Un roman éblouissant !

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été habité par la question de savoir si nous étions seuls dans l’univers. Comme beaucoup d’entre nous je pense, ce questionnement s’intensifie dès que je pointe le nez vers le ciel et que j’observe la voie lactée une fois la nuit tombée. Comment imaginer que parmi ces millions de corps célestes qui nous entourent, aucun n’abrite lui aussi la vie ? Comment se résoudre à l’idée que la Terre soit le fruit d’une série de coïncidences si heureuses et extraordinaires que la chance qu’elles se reproduisent ailleurs reste du domaine de l’utopie ?

En plongeant son regard dans le cosmos, on se sent à la fois insignifiant face au mystère qui nous fait face, et terriblement chanceux de faire partie de ce monde aux frontières infinies. Une sensation que j’ai retrouvé avec délectation devant la couverture de « Sidérations », le nouveau roman de Richard Powers. Il émane de cette image une chaleur qui me renvoie instantanément aux nuits passées à la belle étoile, allongé près d’un feu de camp improvisé en pleine nature, la tête tournée vers le ciel.

Une question d’enfant est le point de départ de toute chose.

Siderations

Camper au cœur de la forêt est justement l’activité favorite de Robin, jeune garçon d’une dizaine d’années, et de son père, Théo, astrobiologiste, dont le travail consiste à modéliser des scénarios de développement de la vie sur des planètes lointaines. Activité qui fascine son fis, doté d’une curiosité insatiable. En guise d’histoire du soir, ils ont pris l’habitude de parcourir ensemble ces mondes imaginaires. La soif de savoir de Robin ravi son père, qui part du principe qu’une question d’enfant est le point de départ de toute chose. Ces explorations rythment soigneusement le récit et permettent à Powers de questionner notre manière à nous, Terriens, de vivre et de penser… sans grande illusion, hélas.

La complicité qui lie le père et son fils est renforcée par le fait que tous les deux traverse un deuil, celui d’une femme et d’une mère, Alyssa, décédée dans un accident de voiture. Un être lumineux autour de qui gravitait l’énergie de la famille et dont l’éclat ne cesse rejaillir à travers les pages du roman. Robin est d’autant plus affecté par sa disparition qu’il a développé une forme d’hypersensibilité au monde et notamment une rage profonde envers tous ceux qui détruisent l’écosystème si précieux de notre planète.

« Personne n’est parfait, mais nous sommes tous merveilleusement imparfaits »

Face à l’échec des traitements médicamenteux destinés à soulager Robin, Théo développe une théorie personnelle : la vie est une chose qu’il faut cesser de vouloir corriger : « Mon fils était un univers de poche dont je n’atteindrai jamais le fond » reconnait-il avec la même humilité qui l’habite lorsqu’il évoque la possibilité d’une vie extra-terrestre. Sa femme avait elle aussi une jolie formule pour résumer cette pensée : « Personne n’est parfait, mais vous savez quoi ? Nous sommes tous merveilleusement imparfaits ».

Le titre du roman n’aurait cependant pas la même force si Powers ne nous réservait pas dans son récit un « twist » dont il a le secret. Il prend ici la forme d’une thérapie expérimentale à laquelle participe Robin pour rééduquer son psychisme : le « Neuro-feedback ». Un programme neuronal construit avec une intelligence artificielle grâce auquel l’enfant s’entraîne à développer son empathie et à contrôler ses émotions, tout en renouant avec sa mère par le biais d’un enregistrement cérébral que celle-ci avait réalisé sur la même machine avant sa mort.

« Le monde est devenu une chose qu’aucun écolier ne devrait être autorisé à découvrir»

Tout le charme du roman s’appuie sur cette « renaissance » d’Alyssa, militante acharnée de la cause animale, à travers la conscience neuve de son fils. L’énergie intérieure qui anime Robin après chaque séance et l’encourage à vouloir sauver notre monde se retrouve sur la couverture du livre. L’image ne nous laisserait-elle pas entrevoir la lumière qui jaillit dans l’esprit du garçon lorsqu’il est en contact avec sa mère, elle-même symbolisée par l’étoile filante qui traverse le ciel ? Cette interprétation est en tout cas moins catastrophiste que la vision qui obsède Richard Powers. L’auteur encore quelque peu optimiste de « L’arbre monde » semble ne plus rien attendre de l’humanité. « Le monde est devenu une chose qu’aucun écolier ne devrait être autorisé à découvrir » fait-il dire à Théo, sidéré par le désastre écologique qui nous menace. Une désillusion qu’il illustre de façon tragique en faisant changer par Robin les paroles d’une prière apprise de sa mère qu’il prononce tous les soirs avant de se coucher : «Puisse tous les êtres sensibles être exempts de souffrances inutiles ». Formule qui devient à la fin du livre : « Puisse toute vie être délivrée de nous ».

Le passage que l’on a aimé

« Elles ont beaucoup en commun, l’astronomie et l’enfance. Toutes deux sont des odyssées à travers de immensités. Toutes deux en quête de faits hors de portée. Toutes deux théorisent sauvagement et laissent les possibles se multiplier sans limites. Toutes deux sont rappelées à la modestie d’un mois à l’autre. Toutes deux fonctionnent sur l’ignorance. Toutes deux butent sur l’énigme du temps. Toutes deux repartent sans cesse de zéro. »

Richard Powers, “Sidérations”, éditions Actes Sud

Toues les couv’ attrapées par Tanguy sont là

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