"Dans la bibliothèque des politiques" nous emmène ce mois-ci dans celle d'une ancienne ministre de la Culture, également plume présidentielle, femme de lettres, de mots, de sens. Pleine de la sensibilité de celles et ceux qui aiment lire. Profondément. Bienvenue, avec Guillaume Gonin au texte et Patrice Normand à l'image dans la bibliothèque de Christine Albanel.
Photos Patrice NORMAND
Pardonnez-moi, chères lectrices et chers lecteurs.
Cette semaine, aux habituelles discussions à tiroirs de cette chronique se sont ajoutées des digressions plus politico-rédactionnelles, dont je suis seul coupable. En effet, enthousiaste à l’idée d’échanger avec une ancienne plume présidentielle, je n’ai ni su ni voulu résister à l’envie de connaître les méandres de son parcours plumitif. Ayant moi-même exercé – et exerçant toujours – cette fonction, à une toute autre échelle, vous comprendrez donc mon entrain. Mais n’ayez crainte, après une demi-heure de discussions, mon invitée en personne se chargera de me rappeler à l’ordre : « Mais … Ne devions-nous pas parler de livres ? »
Cette dernière n’est autre que Christine Albanel. Si le grand public garde en mémoire son passage rue de Valois, comme ministre de la Culture de 2007 à 2009, elle fut également du premier cercle des conseillers de Jacques Chirac, ayant notamment la charge d’écrire ses grands discours au fil des ans – tant à la mairie de Paris, qu’à Matignon et l’Elysée. On lui en doit notamment deux très beaux : celui du « Vel d’Hiv », lors duquel le président Chirac reconnaîtra la responsabilité de la France, et l’hommage rendu à la mort de François Mitterrand. Reconnaissez que ce long compagnonnage d’écriture, rare en politique, valait bien un détour.
D’autant que les livres, omniprésents dans cet appartement de l’ouest parisien, me rappellent à chaque coup d’œil l’objet de notre rencontre.
* * *
J’ai découvert que vous avez été l’attachée de presse d’Anne-Aymone Giscard d’Estaing à l’Élysée. Pouvez-vous nous raconter cette expérience ?
Christine Albanel : Oui ! (Rires) C’était le moment où le Président Giscard d’Estaing souhaitait que sa femme, Anne-Aymone, ait vraiment un rôle public, et gagne en visibilité, ce qui ne l’enchantait guère, car elle était de nature discrète. Elle a donc créé une fondation, la Fondation pour l’Enfance, ce qui supposait des interviews, des discours à prononcer. L’Élysée a cherché une plume, et par un concours de circonstances –un ami de ma famille avait été nommé chef du Protocole-, j’ai été choisie. J’avais vingt-trois ans. Je venais d’être reçue à l’agrégation de Lettres Modernes. J’étais arrivée à Paris l’année précédente, je ne vivais que dans le quartier latin, et je n’avais quasiment jamais franchi la Seine ! Je me suis donc retrouvée à préparer des discours pour Anne-Aymone Giscard d’Estaing pendant deux ans. Ce fut une expérience très intéressante, et paradoxale car, les premiers mois, j’étais professeur dans un lycée communiste le matin, à Villepinte, et je me rendais à l’Élysée l’après-midi. J’échangeais mon jean pour un tailleur jupe car, à l’époque, il n’était pas question de travailler auprès de Madame Giscard d’Estaing en pantalon ! Et au printemps 1981, j’ai été envoyée au QG de campagne de VGE. Ils n’avaient pas grand monde pour écrire les textes de campagne, les tracts … Je n’avais jamais fait cela ! Mais je n’ai pas connu Giscard personnellement, il m’intimidait affreusement – il intimidait tout le monde.
Quelques années plus tard, le maire de Paris, un certain Jacques Chirac, fait appel à vous …
Christine Albanel : Après avoir enseigné quelque temps, j’ai été contactée par l’équipe Chirac. Encore aujourd’hui, je n’ai pas compris comment. Peut-être certains m’avaient-ils repérée au sein du QG de campagne de Giscard ... Toujours est-il que Denis Baudouin, qui avait été le porte-parole du président Pompidou, alors directeur de l’information de Jacques Chirac, m’a contactée.
Êtes-vous recrutée comme remplaçante d’Alain Juppé ?
Christine Albanel : Disons qu’auprès de Jacques Chirac, il y une ou deux personnes qui écrivaient des discours, mais pour les discours politiques complexes, il y avait Alain Juppé. Mais ce dernier en avait assez, il avait envie de s’extraire de tout cela pour voler de ses propres ailes, donc il m’a vue arriver d’un très bon œil. (Rires)
Quels types de discours écrivez-vous dans un premier temps ?
Christine Albanel : Je me positionnais plutôt sur les sujets culturels, sur les préfaces de livres, sur le journal de la mairie que nous éditions. Les discours politiques sont arrivés ensuite. Par exemple, j’ai participé à l’écriture d’un livre sur l’Europe – signé Jacques Chirac – avec Jean-Louis Bourlanges. Et puis, nous nous sommes mobilisés pour la campagne législative en 1986 qui devait mener Jacques Chirac à Matignon. Je me souviens notamment avoir travaillé sur le fameux débat l’opposant à Laurent Fabius, Premier ministre …
Le fameux « roquet » ?
Christine Albanel : Absolument. Mais la formule n’était pas du tout préparée ! (Dans ce débat entre Jacques Chirac et Laurent Fabius, le premier traita le second de roquet, NDLR) A l’époque, il n’y avait pas ces « trucs » de communication, nous ne pensions pas en termes de « punchlines ». Nous préparions des fiches thématiques sur des foules de sujets, que Jacques Chirac mémorisait. Ensuite, chargée de mission à Matignon, j’ai continué à écrire des discours pour lui, tout en prenant en charge une partie des affaires culturelles, les droits de l’homme et les relations avec les cultes, mission que j’ai conservée, de retour à la mairie de Paris en 1988, et après.
Vous êtes l’une des seules femmes dans ce monde très masculin de la politique des années 1980 et 1990 …
Christine Albanel : Il y avait aussi Claude Chirac.
Mais c’est très différent …
Christine Albanel : Oui, c’est un petit peu différent (Rires). J’avais une relation de confiance avec Jacques Chirac, mais très inégalitaire. Il me tutoyait, tandis que je le vouvoyais. En général, Jacques Chirac avait tendance à tutoyer les jeunes femmes, alors qu’il vouvoyait les jeunes « technos » hommes de son entourage. Une fois, dans une réunion, il m’avait dit : « Qu’est-ce que tu dis, biquette ? », ou quelque chose qui y ressemblait. A la fin de la réunion, je suis allée lui dire qu’il ne pouvait pas me parler comme ça ! Il m’avait répondu, perplexe : « mais pourquoi ? » Je lui avais expliqué : « Mais comment voulez-vous qu’on me prenne au sérieux si vous m’appelez biquette ? » Lui ne voyait pas tellement le problème … Il est vrai que j’avais vingt-sept ans…
Quand arrive la campagne de 1995, avez-vous en tête d’être plume à l’Élysée ? Ou bien avez-vous d’autres envies ?
Christine Albanel : Je voulais surtout avoir la responsabilité d’un secteur important. A l’Élysée, en 1995, nous étions très peu nombreux : une quinzaine, seulement. Donc nous avions tous des secteurs énormes. Le mien rassemblait l’éducation, la culture, l’audiovisuel, les relations avec les cultes. Cela représentait un travail considérable qui, aujourd’hui, est effectué par plusieurs conseillers ! Pour les discours, chaque conseiller devait écrire ceux qui concernaient son secteur, pour moi, en priorité, l’éducation et la culture. Après, certains savaient écrire et d’autres non. Henri Bentégeat par exemple, chef de l’Etat-major particulier, écrivait des discours de défense remarquables. Parfois, je devais remettre un peu d’ordre dans les discours des autres…
"Nous passions des week-end avec Jacques Chirac à travailler ses discours"
A l’Élysée, vous n’étiez pas la plume de Jacques Chirac, donc, mais une plume.
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