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Salomé Berlioux : “J’aime les héroïnes à contre-emploi”

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Retenez bien son nom : Salomé Berlioux. Après avoir créé “Chemins d’Avenir”, une association qui accompagne les jeunes ruraux dans leur chemin d’études, après deux essais remarquables (“Les invisibles de la République” et “Nos campagnes suspendues”), la brillante Salomé Berlioux signe un texte littéraire puissant. Nous l’avons rencontrée.

Photos Patrice NORMAND

Il  y a quelques jours, nous vous disions à quel point le premier roman de Salomé Berlioux, essayiste, fondatrice de l’association “Chemins d’avenir” nous avait mis une claque. Par la force de son écriture, par la maîtrise du récit et aussi évidemment par la force de son sujet : l’impossibilité d’un couple d’avoir un enfant. C’est un texte solaire sur un drame. Sur une perte avant que d’être. Un texte plein de pêche de vie. Nous avons eu envie de rencontrer l’autrice. De discuter avec elle de l’écriture, mais aussi de la connaître à travers sa bibliothèque et ses lectures. Une rencontre à la hauteur de la qualité de son texte et de son écriture.

Vous avez fait le choix d’un récit littéraire, de créer un couple – Diane et Aurélien – qui est le double littéraire du vôtre et des couples en général. Pourquoi  ?

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Salomé Berlioux : Je ne pense pas m’être posé la question ainsi. J’ai toujours voulu faire un récit littéraire. Ecrire, et plus largement la littérature, c’est une grande part de ma vie depuis l’enfance. Un ami m’avait dit : « tu écriras un roman quand un sujet nécessaire s’imposera à toi ». Ce sujet est venu et c’est naturellement que je me suis tournée vers la littérature.

Par ailleurs, je voulais que Diane et Aurélien, par-delà l’épreuve qu’ils traversaient soient aussi la représentation d’un couple universel face aux épreuves de la vie. Quelles qu’elles soient.  Diane et Aurélien vivent l’épreuve de la PMA, la douleur de ne pas pouvoir avoir un enfant alors qu’ils avaient le désir de cela, mais plus globalement le livre est aussi celui de la façon dont un couple se sort, ou non, des moments difficiles d’une vie.

Le choix d’Aurélien et Diane est-il aussi là pour mettre une distance avec cette histoire ?

Salomé Berlioux : Non. Aurélien et Diane, c’est aussi un choix de lectrice. Je n’aime pas lire des livres où l’on m’impose une image figée, d’où l’idée du double fictionnel. Mettre mon propre nom était aussi retirer une part de liberté aux lecteurs et aux lectrices.

“Le sujet de l’infertilité reste un angle mort de nos sociétés”

Votre livre est une œuvre littéraire, tout y est-il vrai ou y a-t-il une part de fiction ? Avez-vous pris des notes tout au long des six années que vous racontez ?

Salomé Berlioux : L’idée d’écrire sur cette épreuve s’est assez vite imposée. L’autre chose qui était claire dans mon esprit était que, quelle qu’en soit l’issue personnelle, il n’y aurait pas de happy end dans le livre. Parfois, avec mon compagnon, quand nous sortions d’un rendez-vous lunaire avec un médecin, nous nous disions « ce n’est pas possible, il faut l’écrire » ! Je prenais alors des notes. Quand j’ai décidé de me lancer vraiment dans l’écriture, j’ai fait un plan détaillé. Pour tenir la ligne de crête de ce récit littéraire.

Vous détaillez très concrètement les moments de douleurs, ce que le corps de Diane subit comme dureté. Le style est quasiment chirurgical. A contrario, quand vous racontez les moments sensuels et intimes de Diane et Aurélien, vous utilisez plus l’ellipse. Pourquoi ce contraste ? Salome Berlioux 48

Salomé Berlioux : C’est intéressant cette question car mon éditeur à un moment donné m’a dit : « vous avez lâchez les chevaux. Continuez et faîtes pareil pour la dimension psychologique du ressenti de Diane » Il venait de lire justement une partie sur ce que je racontais des épreuves physiques de la PMA. Ce qu’il disait sur la dimension psychologique résonne avec ce que vous dites sur la dimension intime du couple. Je ne sais pas si j’ai gardé de la pudeur sur le reste. Je n’en suis pas certaine. J’ai adoré écrire les scènes sensuelles du couple. J’y ai vraiment pris beaucoup de plaisir. Peut-être que si l’on prend une image, j’ai ouvert totalement les portes des épreuves pour seulement entrouvrir la fenêtre sur l’intimité du couple. Comme dans une forme d’érotisme pour cela.

Vous êtes essayiste, militante associative, vous êtes une femme engagée dans la cité, y-a-t-il dans ce livre une volonté de mettre sur la place publique un sujet qui concerne un couple sur sept et qui reste malgré tout une forme de non sujet ?

Salomé Berlioux : Il existe visiblement un mécanisme chez moi qui me conduit à transformer des expériences personnelles en sujet plus large. Avec Chemins d’avenir, j’ai tenté de répondre à des freins qui se sont imposés à moi qui venait de la Nièvre quand j’ai voulu faire Sciences Po et plus largement sortir de mon milieu. De même avec les Invisibles de la République. J’ai envie de raconter les angles morts. Sur cette question de l’infertilité et de la PMA qui n’est pas « seulement » l’extension d’un droit mais aussi un chemin du combattant, j’ai choisi le roman. C’est un levier nouveau. Certainement qu’il conduira à autre chose.

Salome Berlioux 13Le roman vient de sortir et le recul n’est donc pas le même pour en mesurer les effets, mais cela vous paraît-il être un bon levier ?

Salomé Berlioux : Disons, que je suis agréablement surprise par tous les témoignages que j’ai reçu depuis la sortie. Venus à la fois de connaissances directes ou indirectes et qui montrent à quel point ce sujet est réel.

En même temps, je me rends compte aussi d’une certaine forme de réticence des journalistes à parler de ce sujet qui bouleverse comme nous le disions l’une des visions que l’on a de la PMA.

Dans la façon de dire de raconter, il y a une forme de réalisme social. Comme chez Orwell. Est-ce une influence que vous avez ?

Salomé Berlioux : De toute évidence. Il y a aussi beaucoup d’Annie Ernaux, mais également de Zola qui sait comme personne peindre la réalité sociale d’un moment.

Il y a quatre parties dans le livre « vouloir, essayer, échouer, accepter ». Y-a-t-il eu des livres qui vous ont accompagnés durant ces différentes étapes ?  Salome Berlioux 31

Salomé Berlioux : Difficile de répondre à cette question tant le rapport affectueux, charnel, indispensable et nourrissant que j’ai avec la lecture, mais aussi avec l’art en général a été amputés par ces années. Comme Diane qui dit à un moment dans le livre qu’elle ne peut plus « ouvrir ses écoutilles » et qui fuit tout ce qui a trait à l’émotion, j’ai ressenti cela viscéralement. Aussi, je me souviens surtout de tous les livres que je n’ai pas lus durant cette période. Il était difficile pour moi de me plonger dans la vie des autres. Tout est sensible. Tout est tourné vers l’émotion. Toutefois, je me rappelle que l’été où Diane écrit « c’est l’été et je sombre », est le moment où j’ai lu « Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu qui m’a passionnée. C’est aussi cet été-là où j’ai lu « d’autres vies que la mienne » d’Emmanuel Carrère. J’ai beaucoup aimé, mais j’ai aussi beaucoup pleuré. Cela correspond à la période « échouer ». Alors que j’achevais l’écriture et que je relisais les épreuves, j’ai retrouvé le goût de l’art et de la lecture. Deux livres m’ont beaucoup marqué. Ohio de Stephen Marker qui a eu le Grand Prix de la littérature américaine et qui est une sorte de pendant américain de « Leurs enfants après eux » ainsi que le livre « Avec toutes mes sympathies » d’Olivia de Lamberterie où elle raconte la perte de son frère.

Comment êtes-vous venue à la lecture ?

Salome Berlioux 19Salomé Berlioux : J’ai fait le cursus honorum classique : la bibliothèque rose, la bibliothèque verte, le club des cinq, les Gallimard jeunesse, les royaumes du Nord, Harry Potter. J’ai lu très tôt. Parce que je m’ennuyais beaucoup à la campagne. J’étais une lectrice affamée. J’avais besoin de me nourrir.

Je me souviens ensuite d’avoir lu Colette en fin de primaire ou au début du collège et d’avoir ressenti une émotion forte, intense, profonde. Claudine quitte son village pour Paris. Elle a des difficultés. Elle aime un homme plus âgé. J’ai été très touchée par ces livres. Je me souviens d’une émotion sensorielle forte qui a beaucoup compté pour celle que je suis devenue.

Je suis toujours une lectrice compulsive. Quand je pars en vacances, j’ai toujours ce tic d’emporter plus de livres qu’il n’en faut. On ne sait jamais, on peut s’ennuyer, avoir du retard etc…

Des classiques mais pas que donc ?

Salomé Berlioux : Disons, qu’au moment où j’ai compris que j’avais envie de préparer le concours de Sciences Po, j’ai intégré l’idée que je pouvais agir en lisant. Je ne pouvais pas apprendre seule le droit et l’économie, mais je pouvais travailler ma culture générale et littéraire. En acquérant seule et facilement des savoirs. A ce moment-là, j’ai lu beaucoup de classiques de Troyat à Dostoïevski. Je me souviens d’un cours de Latin où je lisais « Crimes et châtiments » sur mes genoux. Le prof m’a interpellée : « Que faîtes-vous Berlioux ? ». Il a vu le livre. Il a dit : « Ok, ça va ». En somme, à ce moment-là, dans mes lectures il y avait comme un mélange d’envie et de conviction que c’était bien pour moi.

Ensuite ? Salome Berlioux 41

Salomé Berlioux : Ensuite, j’ai dévoré beaucoup de littérature américaine. La « Tâche » de Philip Roth, notamment. Ce sont ces moments à 18, 20 ans où l’on se souvient exactement du cadre émotionnel qui accompagne une lecture. Je me souviens par exemple de la fin de ma lecture de « Belle du seigneur ». Je sanglotais dans ma baignoire et me questionnais sur l’amour. « Bonjour tristesse » de Sagan fut aussi un grand moment. Tout comme la « Modification » de Michel Butor, prouesse littéraire totale. Ces dernières années j’ai vraiment aimé “Vernon Subutex” de Despentes. Et j’admire l’écriture de Maylis de Kerangal, nerveuse et poétique. La lire est toujours un ravissement.

Quel fut le premier vrai choc de lecture ?

Salomé Berlioux : Les trois mousquetaires. Je me souviens avoir pleuré à la mort de Milady en me disant que les auteurs n’avaient pas le droit de tuer ainsi les personnages.

Quel est le premier livre acheté avec votre argent de poche ?

Salomé Berlioux : J’ai un peu honte, mais je le faisais à chaque fois en allant faire les courses avec ma mère. J’achetais des tomes du « club des baby sitter ».

Le classique qui vous tombe des mains ?

Salomé Berlioux : J’aime la littérature russe et pourtant je n’ai jamais réussi à terminer « Le Maître et Marguerite » de Bougalkov. Mon compagnon l’a lu récemment. L’a dévoré. Je ne comprends pas.

Le livre que vous partagez avec la personne qui partage votre vie ?

Salomé Berlioux : Le monde d’hier de Zweig. Un livre total. Puissant. Fantastique.

CVT Leurs Enfants Apres Eux 2834Le livre que vous offrez à un premier rencard ?

Salomé Berlioux : Aujourd’hui, j’offrirai « Leurs enfants après eux » car tout ce pour quoi je me bats au quotidien est dans ce livre. Avant, j’offrais le « bal » d’Irène Némirovsky.

Le dernier livre acheté ?

Salomé Berlioux : Jeunesse de Pierre Nora.

Le livre que vous avez honte de lire avec plaisir ?

Salomé Berlioux : Je me souviens avoir lu avec beaucoup de plaisir la « Bicyclette Bleue » de Regine Desforges à l’adolescence, vers 14-15.  En cachette, évidemment ! Je ne l’ai jamais rouvert.

Le livre qui vous fait toujours pleurer ?Salome Berlioux 08

Salomé Berlioux : Le livre de ma mère d’Albert Cohen. D’une beauté et d’une universalité inégalable.

Le livre pour votre meilleur ennemi ?

Salomé Berlioux : Comme ce serait quelqu’un de déconnecté du réel, J’offrirai un essai comme la « France périphérique » de Christophe Giully ou « Ceux qui restent ». Quelque chose pour le ramener vers le réel.

Le héros ou l’héroïne que vous auriez aimé être ?

Salomé Berlioux : J’ai beaucoup aimé Milady. En général, quand je faisais du théâtre, j’aimais les rôles à contre-emploi de ce que j’étais. J’aime les femmes qui ne sont pas des jeunes premières. J’aime la Reine d’Espagne dans Ruy Blas, ou Lucrèce Borgia sombre. Je ne suis pas Ondine de Giraudoux !

Pourquoi écrivez-vous ?

Salomé Berlioux : Pour dire LES choses qui me paraissent indispensables. Pas pour dire DES choses.

“La peau des pêches”, Salomé Berlioux, Stock, 20,90 euros.

Tous les coups de foudre d’Ernest sont là.

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