Anne Plantagenet est une autrice prolifique. Tantôt romancière avec son superbe “Trois jours à Oran” ou “Appelez-moi Lorca Horowitz”, et une quinzaine de romans à son actif, tantôt traductrice, elle revient cette fois-ci avec une biographie formidable de Maria Casarès. Rencontre.
Photos PATRICE NORMAND
Actrice emblématique, figure intellectuelle des années 50, Maria Casarès est surtout connue aujourd’hui pour avoir été durant quinze ans l’amoureuse, l’alter-ego, la muse, voire même peut-être l’âme sœur d’Albert Camus. C’est justement pour redonner son histoire dans sa globalité à Maria qu’Anne Plantagenet a décidé de se mesurer au personnage de Casarès. Elle nous raconte le cheminement.
Pourquoi as-tu décidé de te mesurer à Maria Casarès ?
Anne Plantagenet : Le terme “mesurer” est très juste. J’avais peur de le faire. Marias Casarès est une icône. Le déclencheur a été – comme pour beaucoup de gens qui l’ont découverte à ce moment là – la parution et la lecture de l’extraordinaire correspondance qu’elle a entretenue avec Albert Camus dans laquelle au-delà des magnifiques lettres d’amour, il y a aussi tout le personnage, complexe, profond, solaire et attachant qu’était Maria Casarès. J’ai été fascinée par la musique de sa voix écrite. Il y a chez elle un appétit de vie, un désir, une énergie incroyable et une volonté folle de vivre la vie dans toutes ces dimensions.
La biographie est intitulée “L’Unique”. Pourquoi ce titre ? Par ailleurs, tu t’intéresses aussi à tout le parcours de Maria. Tu modèles une personnalité singulière, comment as-tu travaillé sur ce projet ?
Anne Plantagenet : Dans la correspondance avec Camus, ce qui m’a frappée au-delà de la rencontre entre ces deux êtres exceptionnels et le surgissement de chacun d’entre eux grâce à la relation à l’autre, c’est aussi la singularité de Maria. Singularité qui explose notamment dans les lettres où il est question des petits riens du quotidien. Ces petits riens révèlent un caractère entier qui a décidé d’être intensément du côté de la vie. Maria a décidé de vivre aussi intensément sa vie quotidienne que celle des personnages qu’elle incarnait sur scène. C’est une exilée. Elle sait qu’il faut croquer la vie à pleine dents. Au départ, elle refuse d’être la maîtresse d’un homme marié. Quatre ans plus tard, elle comprend, qu’elle ne veut pas passer à côté de cette histoire et décide malgré les obstacles, les peines, les désillusions de la vivre intensément, même si ce n’est que 75 % d’une relation disait-elle. De ces 75 % elle tirera tout ce qu’elle peut tirer. Cela est véritablement passionnant chez Maria. La passion qu’elle met dans toute choses. Anodine ou importante comme son amour avec Camus.
Pour ce qui est de la façon de travailler, j’ai vraiment procédé comme une biographe classique. D’abord la lecture minutieuse de la correspondance, puis des articles, et de tous les livres que je pouvais trouver sur elle, ses propres mémoires aussi “Résidente privilégiée” où elle parle notamment de son enfance en Galice et à Madrid. Surtout, j’ai ensuite découvert l’existence de la Maison Maria Casarès en Charente. C’était sa maison. Celle qu’elle avait achetée avec son argent d’actrice très en vogue de l’époque. A sa mort elle a légué le domaine à la commune et c’est devenu une résidence d’artistes. Toutefois, il reste nombre de ses effets personnels, et j’ai écrit une partie du livre sur le secrétaire de Maria. C’est un lieu unique. Loin d’une maison gadget.
A la lecture du livre, on a le sentiment que l’une des ambitions de biographe était aussi de faire exister Maria sans Albert…
Anne Plantagenet : Complètement. C’est très réducteur et injuste pour la talentueuse actrice qu’elle était de ne l’associer uniquement à Albert Camus. L’ambition est de la faire “être”, seule. Unique. Car elle l’était. Profondément. Dans la façon dont on la perçoit aujourd’hui, il nous manque un pan de sa vie. Elle ne fut pas seulement la maîtresse de Camus. Elle fut une actrice vraiment “star” de son époque, elle a travaillé avec Carné (Les enfants du Paradis) avec Bresson (Les Dames du Bois de Boulogne), Cocteau (Orphée) et a été une immense actrice de théâtre avec Vilar, le festival d’Avignon et avec Gérard Philippe aussi. Maria fut une femme engagée, et elle fut une femme libre. C’est une héroïne d’aujourd’hui. J’ai même insisté auprès de mon éditeur pour qu’elle soit seule sur la photo de couverture du livre. Elle peut exister aussi sans Camus.
Tu parlais de son caractère. Comment la définirais-tu ?
Anne Plantagenet : Elle est libre, audacieuse, ardente, curieuse. Au fond, je dirais peut-être que Maria Casarès était une ardente intranquille. Ce qui est puissant dans son parcours c’est sa liberté. Elle a vécu non sans mal et non sans faire de mal car elle a emprunté des chemins escarpés. Mais elle a toujours choisi la vie. Quand on regarde sa vie, on prend conscience que l’on peut survivre à la mort de l’être aimé, que l’on peut inventer des chemins qui nous sont propres, et que l’on peut aussi être bien malgré un exil.
Une question m’est également venue : as-tu hésité à un moment donné à t’extraire de la forme biographique “classique” pour dire “je” et te glisser dans la peau de Maria ?
Anne Plantagenet : Honnêtement non. Je comprends la question car il y a des résonances entre ce qu’elle est et les thèmes qui irriguent mes livres et mon parcours : le récit de l’identité, l’exil, ou encore l’amour, les corps et la féminité. Mais je n’ai jamais voulu dire “je” car je ne suis pas Maria et je ne souhaitais pas ici faire une œuvre de fiction. Tout ce que je raconte est vrai et documenté.
Dans le livre, il y a beaucoup d’extraits de la correspondance avec Camus. Quel est celui que tu préfères ?
Anne Plantagenet : Question difficile. L’un de ceux qui me touchent le plus c’est en 1950. Le 28 août. Elle prend le train en garde de Saint-Dié des Vosges. Camus vient de la déposer. Il part retrouver Francine et les enfants après des vacances avec elle. C’est un moment triste pour Maria. Elle a chassé Albert. A été froide durant toute la journée. Et elle écrit un texte qui dit beaucoup de qui elle était : “Je traîne avec moi une vieille nostalgie qui crie de plus en plus fort à mesure que les années coulent et qu’elle assiste impuissante, à mon destin d’éternelle exilée. Prendre racine, trouver une patrie et m’y attacher jusqu’à la fin, voilà mon profond souhait ; voilà aussi à quoi je dois renoncer sans cesse”.
Anne Plantagenet “Maria Casarès, l’unique”. Stock, 20 euros.
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