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Page blanche, idées noires

Typewriter Barton Fink

Et si la page blanche n'était pas si blanche que cela ? Et si elle était transparente ? Assez parlé du privilège de la page blanche, ce mythe littéraire tenace et limité. Paul Vacca le noircit, et lui donne des couleurs. Sublime !

Mythologie #5 : Le syndrome de la Page blanche  

Ah ! Que nous aimerions tous, en ce début d’année, que 2021 se présente comme une page blanche. Enfin tourner la page, repartir à zéro, écrire quelque chose de neuf. Oui, nous aimerions, tout en sachant pertinemment qu’il s’agit d’une fiction. Nous le savons, le passage d’une année à une autre - ou même d’un siècle ou d’un millénaire à un autre – vu comme une nouvelle page à écrire est une illusion confortable. Comme celle des « tables rases », des « plus jamais ça » ou des « mondes d’après ». Hélas, le temps, comme les années, est lavoisien : rien ne s’y perd rien, tout s’y transforme.

Cette « page blanche » nourrit également notre imaginaire littéraire. Elle est à l’origine d’une des mythologies les plus fécondes concernant l’écrivain : le fameux « syndrome de la page blanche ». Cette incapacité qui frappe l’écrivain et que les anglophones nomment plus cliniquement le « writer’s block », le blocage de l’écrivain.

S’il est difficile de nier la réalité du « blocage de l’écrivain » – qui ne l’a pas éprouvé même pour la rédaction d’un mail, d’une lettre de motivation, d’un billet doux ou d’une carte de vœux – le syndrome de le page blanche lui est en revanche un mythe. 

Unité de temps, de lieu et d’inaction

L’écrivain paniqué, paralysé, tétanisé face à sa feuille blanche, parfaitement blanche, vertigineusement blanche est d’abord une fiction. À l’efficacité narrative incomparable. Avec son unité de temps, son unité de lieu et son unité d’inaction. Un topos inaltérable, universel, déclinable à l’infini, il est devenu l’espéranto de la panne à la manière de la peau de banane dans les films burlesques, de la trahison dans les récits mafieux ou du baiser sous la pluie dans un mélodrame. Steve Johnson CIbgRsgwunE Unsplash

Avantage, le « syndrome de la page blanche » possède déjà une dimension visuelle et physique parfaitement résumée par Bernard Quiriny dans sa nouvelle L’Angoisse de la première phrase :

Devant sa feuille blanche, il passa des heures à chercher la première phrase idéale. Sans cesse il posait la pointe de son stylo sur le papier et tentait de libérer son poignet pour dessiner la boucle de la première lettre ; il s'interrompait à chaque fois avec la certitude horripilante qu'il y avait une meilleure manière de démarrer le texte.  

Il peut s’accommoder à la sauce métaphorique comme avec Flaubert dans une lettre à George Sand :

Vous ne savez pas, vous, ce que c’est que de rester toute une journée, la tête dans ses deux mains, à pressurer sa malheureuse cervelle pour trouver un mot. L’idée coule chez vous largement, incessamment, comme un fleuve.

Il peut également révéler, de façon plus ou moins subtile, un sous-texte libidinal – la « page blanche » comme symbole de l’impuissance sexuelle – comme dans L’Affaire Harry Québert de Joël Dicker :