3 min

Lire ou écrire ? Telle est la question…

Toa Heftiba QnUywvDdI1o Unsplash

Pour sa deuxième "contre-allée", Arnaud Viviant s'interroge :  peut-on lire et écrire ? Et si l'écriture était notre dernière sauvagerie et la lecture une nouvelle aristocratie ? Pour répondre à cela, il convoque Barthes, Nothomb et Eloïse Lièvre. A vos stylos !

« Pour ma part, j’ai une idée utopique de la littérature, ou de l’écriture, d’une écriture heureuse. Je partirai de ce fait qu’il y a maintenant (…) avec les progrès de la technique, de la culture de masse, un divorce évident, et terrible à mon sens, entre le lecteur et le scripteur : il y a d’un côté quelques écrivains, et de l’autre une grande masse de lecteurs. Et ceux qui lisent n’écrivent pas. Le problème est là, n’est-ce pas ? Ceux qui lisent n’écrivent pas. »

Ces phrases ont été prononcées il y a près d’un demi-siècle, le 16 mars 1973, par Roland Barthes lors d’un dialogue sur France Culture avec le journaliste littéraire Maurice Nadeau. Elles ont beaucoup vieilli. En effet, selon une étude menée par Harris Interactive, pendant les 55 jours de confinement (exactement le temps que Stendhal mit pour rédiger La Chartreuse de Parme) un Français sur 10 aurait commencé l’écriture d’un livre. Soit cinq millions de manuscrits en puissance… L’utopie de Barthes s’est donc réalisée : aujourd’hui, Emma Bovary ne lit plus de romans à l’eau de rose. Elle écrit une autofiction où elle met en boîte son mari, son amant et le pharmacien Homais qui, tel qu’on le connaît, lui collera sans doute un procès en diffamation. Le soir, pendant que Charles visite ses patients, elle file à son atelier d’écriture où elle apprend les techniques de narration comme autrefois on apprenait le macramé. Nul se plaindra de cette démocratisation de l’écriture, bien au contraire. Il est bon que chacun fasse un jour l’expérience de coucher ses pensées, ses émotions, ses rêveries. N’empêche qu’il s’agit d’une transformation radicale du champ littéraire et peut-être, à l’horizon, d’un nouveau divorce entre le scripteur et le lecteur. Car écrire ou lire c’est comme boire et conduire : il faut choisir. On ne peut pas faire les deux. D’où cette question à peine impertinente : la démocratisation de l’écriture va-t-elle mener à une aristocratisation de la lecture ?