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La possibilité du lotus

Hanna Skoromna SQ57KVVBnKE Unsplash

“Les hommes font des plans. Pendant ce temps-là, Dieu se marre”, dit un proverbe juif. Au-delà de l’existence ou non de Dieu et d’une quelconque destinée, ce proverbe ironique n’a jamais été aussi bien illustré que lors de l’année 2020 où tous nos plans sont tombés à l’eau. Évidemment, il y a des regrets, des difficultés, des moments de doute qui sont sortis de tous ces plans évanouis et envolés. Toutefois, ainsi que nous le notions la semaine passée, il y eut aussi en 2020 des choses à garder, voire même à cultiver.  Mais passons. A l’heure de cette nouvelle année, il convient de formuler des souhaits, d’élaborer des plans et d’imaginer ce qui pourrait être. Comme dans un recommencement. Cette année, nous sommes réticents à le faire. On sait que les choses peuvent être profondément chamboulées.

On pourrait s’en attrister. Se dire que décidément nous ne vivons pas une époque formidable. Cela serait en partie vrai. Mais en partie seulement. Dans une lettre adressée en 1915 à son ami Armando Cortes-Rodrigues, le maître portugais du spleen et de la mélancolie Fernando Pessoa écrit : “Décembre a été pour moi comme une nuit de tempête. Je romps le sortilège de la dépression pour vous écrire aujourd’hui. (…) Car, malgré tout et en dépit de tout, je travaille, toujours, je produis toujours. Même dans le bourbier de mon esprit il y a des lotus qui fleurissent.”  

Même dans le bourbier, même dans cette incapacité à faire des plans, des projets, des rêves, il y a la possibilité du lotus en fleurs. Voilà, peut-être, quelque chose que nous pouvons avoir à l’esprit alors que 2021 démarre. Et si, cette année, nous ne faisions pas de projets ? Cela éviterait à Dieu de se marrer et surtout au lieu de nous décevoir cela nous rendrait bien plus réceptifs à l’inattendu, à la vie, et au présent. “Dans la vie, il n’y a pas de solutions, il y a des forces en marche. Il faut les créer et les solutions suivent“, rappelle Antoine de Saint-Exupéry.

Mettre les forces en marche, vivre au présent puisque de toute façon les projets que nous pourrions faire seront mis à l’épreuve. C’est peut-être cela finalement que nous pouvons nous souhaiter pour 2021.

 Alors qu’habituellement, il nous faut des plans pour avancer, l’idée déstabilisante pour cette année serait d’avancer sans nos plans. Je sais que vous n’avez pas envie de cela. Que cela perturbe même le fonctionnement de notre cerveau qui a du mal à ne pas se projeter.

Le propos n’est pas justement de ne plus se projeter mais de ne pas faire de nos projections les pierres angulaires de nos actions. Au fond, ce qu’il nous faut pour l’année qui vient, c’est une capacité nouvelle, une compétence nouvelle, celle de placer notre projet en second pour placer l’action en premier.

Ainsi, peut-être, qu’au moment de faire le bilan de l’année 2021, nous pourrons nous réjouir des réalisations, des choses accomplies, et des projets finalement menés à bout. De voir que même dans la vase gluante d’une année qui s’annonce complexe, des lotus sont apparus du fait non pas de l’opération du Saint-Esprit, mais bel et bien du fait de nos choix et nos actions. “Même dans le bourbier, il y a des lotus qui fleurissent”. Même dans notre bourbier actuel le bonheur n’est pas loin. “Le bonheur est accessible, il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu’on aime avec un abandon total de soi”, soulignait Romain Gary. Certainement que nos vocations sont dans le faire plus que dans le projeter.

Bon dimanche et belle année à vous tous et toutes, Ernestiennes et Ernestiens

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