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Couple : la grande réconciliation

Mepris 2

Dans sa 7ème chronique depuis le début du confinement, sa 8è sur Ernest, Jérémie Peltier convoque Fitzgerald, Moravia, Godard, et Menélik pour nous parler du couple, des célibataires, de nos problèmes d’hygiène pour finalement nous parler de la grande réconciliation. C’est plein de littérature, de sociologie, et de finesse. Comme à chaque fois. Régalez-vous.

Le ciel nous est tombé sur la tête. Après le 11 mai, jour de notre libération anticipée, resteront donc fermés « cafés, restaurants et hôtels ». C’est pas moi qui l’ai dit, c’est le chef des armées.

« Café, restaurant, hôtel », le tryptique des célibataires. « Café, restaurant, hôtel », c’est notre « Liberté, Égalité, Fraternité ».  C’est l’ordre des choses lors d’une soirée bien ficelée où tout s’emboîte parfaitement bien. « Café, restaurant, hôtel », c’est le strike que vous adorez regretter quand vous regardez votre compte bancaire le lendemain matin, de nouveau seul(e) dans votre lit.

Et voilà que l’on nous indique subitement que ce mouvement perpétuel, cette marche du monde universelle, ne sera pas possible lorsque nous sortirons. Nous, célibataires, qui n’avons cessé de faire les malins en proclamant partout et fièrement tout au long de ce confinement que notre sortie allait être une orgie historique et permanente, avons l’air d’idiots désormais. Nous sommes en train de déchanter sérieusement. Nous déchantons d’autant plus quand on nous informe que nous serons obligés de porter un masque dans les transports publics. Avec tout le respect que nous devons aux masques et autres bals masqués de jadis (bah dis-donc…tu viens plus aux soirées ?), pensons-nous un seul instant séduire avec un masque ? Avez-vous vu l’allure que cela nous donne ?

C’est désormais une évidence, les célibataires seront les perdants du déconfinement. Et, on le savait, ils étaient déjà les grands perdants du confinement, à moins évidemment d’avoir fait comme le roi de Thaïlande, le grand Rama X, 67 ans, qui a décidé d’être confiné avec un harem de vingt jeunes filles dans un grand hôtel de luxe en Allemagne [1] (entre nous, si tous les hommes de 67 ans étaient dans cette situation, le débat sur le déconfinement de nos aînés serait vite réglé). Ou d’avoir un véhicule, comme ces deux individus dans le Doubs, qui ont été surpris par les forces de l’ordre en plein ébat sexuel dans leur voiture (qui sortait peut-être de l’usine Peugeot). Comme nous l’indique le journal La Provence, ils ont ainsi présenté des attestations aux gendarmes. « Si madame avait coché la case “courses de première nécessité”, monsieur, lui, avait choisi “activité physique” comme motif de déplacement. Ils ont chacun écopé de 135 euros d’amende [2] ».

“Le confinement, réhabilitation du couple ?”, Pas certain…

Grands perdants du confinement, grands perdants du déconfinement : les célibataires sont donc bien seuls dans leurs beaux draps. Cela signifierait-il que les couples sont les gagnants de toute cette séquence ? « Le confinement, la réhabilitation du couple ? » comme pourrait le titrer Grazia ?

Alors évidemment, n’en déplaise aux complotistes, la réalité est toujours plus compliquée. Car, et vous le voyez bien, ce que l’on sent depuis le début, c’est que l’avenir des couples en confinement est devenu le VRAI SUJET de cet enfermement (beaucoup plus que de savoir si Guy Joao, celui qu’on a pris pour Xavier Dupont de Ligones, est toujours confiné dans les Yvelines). Au début pourtant, tous ces couples nous narguaient : tout cela est simple, pas de problème. Ce n’est qu’une question d’organisation. L’important est d’avoir une stratégie :  un moment pour les « activités » en commun – séries, faire l’amour – et un temps chacun dans son coin, moi dans la chambre et lui dans le salon, comme le dit Laura Felpin dans le dernier numéro de Elle [3].

“50 % des couples confinés se disputent sur les tâches ménagères”

Mais, au fur et à mesure, ils comprennent que tout cela est plus compliqué. Et que les enfants sont, évidemment, un facteur aggravant. Depuis qu’ils sont confinés, 50 % des Français en couple se disputent au sujet des tâches ménagères et de leur répartition, et 37 % des parents se disputent plus qu’avant le confinement à propos de leurs enfants (temps passé par les enfants devant les écrans, manière d’éduquer les enfants, temps passé avec les enfants). En outre, 17 % des couples se disputent plus qu’avant au sujet de la quantité des réserves de nourriture et 15 % à propos du menu des repas.

Ernest Peltier Jeunestristes FitzgeraldConséquences de tout cela ? L’usure. Plus de 40 % des Français confinés en couple sous le même toi disent vivre plus qu’auparavant des périodes intenses de stress, de nervosité ou d’anxiété. On est en plein dans l’état psychologique de Luella Hemple, personnage de la nouvelle de F. Scoot Fitzgerald, Le réconciliateur (parue en 1926 dans le recueil Tous les jeunes gens tristes), femme dont le couple est au bord du délitement :

« Même mon enfant m’ennuie. Ça te paraîtra monstrueux, Ede, mais c’est vrai. Il ne comble strictement rien dans ma vie. Je l’aime de tout mon cœur, mais quand je dois m’occuper de lui tout un après-midi, je deviens nerveuse à hurler (…). Vous ne voyez donc pas que je ne supporte plus la maison ? » Sa poitrine, sous sa robe, cherchait à reprendre haleine. « Vous ne voyez pas à quel point je m’ennuie à m’occuper de la maison, de mon enfant ? Tout a l’air de se répéter indéfiniment. J’ai besoin de sensations, et peu m’importe la forme qu’elles prennent ou ce qu’elles me coûtent, pourvu que je sente mon cœur battre à se rompre ».

La gestion de la maison et la répétition des affaires courantes deviennent insupportables, usantes, éreintantes. Vous ne supportez plus le début de

Trois p’tits chats, trois p’tits chats, trois p’tits chats, chats, chats,

Chapeau d’paille, chapeau d’paille, chapeau d’paille, paille, paille,

Paillasson…, son, son

Somnambule,… bule, bule

Bulletin,…. tin, tin

Tintamarre,…

Cette chanson, c’est la bombe à retardement pour le couple confiné avec enfants. Arrive alors l’agacement au sein du couple même. On s’agace l’un et l’autre. Chaque mot devient le prétexte au conflit. Un mot de trop et c’est l’explosion. On ne supporte plus ses tics, ses habitudes, ses petites phrases, ses petits gestes. Tout devient propice à un reproche. Ce que vous n’aviez pas ou peu perçu chez autrui il y a encore trois mois vous pique les yeux chaque matin :

« Nous nous agaçons l’un et l’autre, Charles et moi (…). Il n’arrête pas de se frotter le visage avec la main, tout le temps, à table, au théâtre, même au lit. Ça me rend folle, et quand des choses de ce genre commencent à vous exaspérer, c’est le commencement de la fin »[4].

Le point d’achoppement : l’hygiène

Mepris2On ne supporte plus ce qu’il ou elle ne fait pas. Quand-est ce que tu vas finir de peindre ça ? Quand est-ce que tu vas mettre ces rideaux ?  Je commence à en avoir marre … Arrive alors le dernier étage de la fusée, celui de la modification du regard que l’on porte sur l’autre. Car la promiscuité nous donne à voir autrui sous un nouveau jour. Un jour sous lequel on ne l’avait jamais vu. Ou sous lequel on n’avait jamais voulu le voir. Comme le dit Luella Hemple, « On découvre toutes sortes de choses désagréables quand on est forcé de rester à la maison »[5]. Quelles peuvent être ces choses qui font que notre regard sur autrui change subitement ?

Premièrement, cela peut être en raison de « situations » : imaginez que votre conjoint ou votre conjointe, alors que vous êtes sous la douche, veut profiter de ce moment pour regarder tranquillement dans le lit conjugal un film au titre évocateur, « Change pas de main, je sens que ça vient », et oublie malheureusement que ses enceintes Bose, toujours connectées à l’ordinateur en question grâce au Bluetooth, étaient restées dans ladite salle de bain. Il ou elle, sans le vouloir, vous fait alors profiter du son (mais pas de l’image) du film en question alors que vous terminez de vous laver les cheveux. Vous prenez tout à coup conscience que c’est un homme ou une femme comme les autres. Et ça fait mal. Autrui vient de descendre tout à coup de son piédestal. Et vous venez de comprendre que vous ne lui êtes pas si indispensable.c

Le dilemme du caleçon

Louis Mornaud 9avyjpmvxJc UnsplashEn parlant de shampoing, l’hygiène personnelle sous confinement peut être, deuxièmement, l’une des raisons qui vous amène à changer de regard sur autrui. Dans une enquête tout juste sortie du feu, « Etat des lieux de l’hygiène corporelle et vestimentaire des Français confinés »[6], on apprend que 61 % des hommes sous confinement procèdent à une toilette complète « au moins une fois par jour » (contre 71 % en février dernier) et 74 % des femmes (81 % en février dernier). Par ailleurs, 68 % des hommes changent de slip/caleçon tous les jours sous confinement (73 % en février dernier), et 91 % des femmes changent de culotte tous les jours (94 % en février dernier).

Par conséquent, si autrui se trouve du côté sombre des chiffres précédemment cités, il se peut que vous veniez de le découvrir sous un jour qui vous dégoute quelque peu.

Troisièmement, le fait de découvrir grâce à diverses traces numériques qu’autrui mène une aventure parallèle à votre histoire peut avoir tendance à vous faire changer le regard que vous lui portiez. Vous êtes cocu et confiné. Et pas forcément content. Ce qui nous permet une fois de plus de rappeler qu’il faut toujours garder les yeux ouverts quand vous êtes en train de vous faire baiser.

Ces trois types de situations ou de comportements peuvent entrainer du mépris vis-à-vis d’autrui, état qui fait que vous préférez désormais que l’autre soit malheureux plutôt que vous.

On est alors dans ce que décrit parfaitement Alberto Moravia dans son chef d’œuvre, Le mépris[7], dont Jean-Luc Godard a tiré un film tout aussi formidable. Tout se brise sans justification aucune. Chaque mot vise à tuer l’autre plus qu’hier. Et la froideur s’installe. Vous prenez conscience que vous êtes devenu un poids : « Je me demandais quelle pourrait être son attitude à l’avenir, mais je comprenais que si je me bornais à m’imposer, je ne pourrais plus rencontrer chez elle que passivité ou peut-être pis encore ». Dans une situation de mépris, vous êtes sans armes.

Émilie (Camille dans le film de Godard) commence à faire chambre à part :

« Cela ne te fâchera pas que je couche là-bas sur le divan ? (…). Qu’est-ce que cela peut te faire…dans tant de ménages, chacun dort de son côté et ils ne s’en aiment pas moins… »

Puis attaque :

« Je te méprise. Voilà le sentiment que j’ai pour toi (…). Je te méprise et tu me dégoûtes quand tu me touches »,

 

Avant de laisser un peu plus tard Richard (Paul dans le film de Godard) dans l’incompréhension :

– Mais tu es tenue de t’expliquer !

– C’est-à-dire ?

– Tu dois m’expliquer pourquoi…pourquoi tu me méprises…

– Ah ! cela, je ne te le dirai jamais !…fût-ce sur le point de mourir ! ».

Trois raisons de se réconcilier

La question qui se pose pour les couples en confinement est donc : comment éviter d’en arriver là ? Comment s’en sortir ? Comment faire en sorte que tout ne se délite pas pendant et après notre enfermement ?

Alors vous me direz, et pourquoi pas ? Pourquoi ne pas laisser tout cela se briser pour jouir à la sortie ?

Pour trois raisons.

D’une part, quand vous comprendrez que vous serez désormais obligé, sous peine de poursuites, de participer à la fête des voisins chaque année car elle sera devenue la nouvelle fête nationale à l’issue du confinement, je vous assure que vous serez heureux d’y aller avec quelqu’un.

D’autre part, car vous n’aurez plus d’argent dans quelques semaines, et les petits Cofidis et Sofinco que vous venez de contracter en douce afin de faire face à votre chômage partiel ne suffiront pas à vous permettre de louer un appartement solitaire, et encore moins à financer un éventuel divorce. Préférez l’appartement solidaire à l’appartement solitaire.

Enfin, car les célibataires ont déjà une liste suffisamment longue de personnes à traiter à la sortie. Il ne s’agit pas de leur rajouter du travail alors qu’ils auront beaucoup à faire. Il s’agit de ne pas faire preuve d’égoïsme dans le moment que nous vivons.CVT Extension Du Domaine De La Lutte 1151

Il faut donc empêcher le délitement. Trouver des outils pour l’endiguer.

Si on se projette sur l’après-confinement, d’abord dire qu’il ne faudra pas foncer tête baissée chez les thérapeutes de couples ou  autres psychanalystes afin qu’ils s’occupent de vos affaires. D’abord car cela sera trop tard. Et par ailleurs, ayez en tête l’alerte faite par Michel Houellebecq dans Extension du domaine de la lutte[8], sur les potentielles conséquences désastreuses de la psychanalyse sur autrui :

« Sous couvert de reconstruction du moi, les psychanalystes procèdent en réalité à une scandaleuse destruction de l’être humain. Innocence, générosité, pureté…tout cela est rapidement broyé entre leurs mains grossières (…). Ils anéantissent définitivement chez leurs soi-disant patientes toute aptitude à l’amour, aussi bien mental que physique ; ils se comportent en fait en véritable ennemi de l’humanité ».

Le remède à la sortie sera donc pire que le mal. S’il faut agir, c’est pendant le confinement. Trois propositions.

Trois actions à mener pendant le confinement

Sur l’organisation de l’espace intime tout d’abord. Sous confinement, 30 % des personnes en couple disent avoir des difficultés à travailler en présence des autres membres du foyer, et presque 20 % disent souffrir de la promiscuité et d’un manque d’intimité[9]. Vous pouvez donc dès maintenant investir dans cette magnifique tente d’intérieur conçue pour s’isoler afin de faciliter le télétravail, disponible sur le site Sanwa contre la somme de 70 euros[10].

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Il convient par ailleurs de faire preuve de tolérance vis-à-vis d’autrui. C’est une vertu qui est à la portée de tous, une sagesse accessible à tous. Soyez donc philosophe. Votre nouvel adage pourrait par exemple être : « Toujours faire un peu plus plutôt qu’un peu moins », comme on le suggère à Luella dans la nouvelle de Fitzgerald :

« Il vous incombe de dissimuler plus de soucis que vous n’en laissez paraître, d’être un peu plus patiente que la moyenne des gens, et de faire un peu plus que votre part, plutôt qu’un peu moins. La lumière et l’éclat du monde sont entre vos mains »[11].

Cet adage du « un peu plus » pourra d’ailleurs vous être utile en sortant afin d’aider à la reconstruction du pays.

Enfin, il vous reste les mots. Les mots pour pardonner tout d’abord. Pardonner les écarts, les abus, les attitudes déplacées ou décalées. Et pardonner ne signifie pas oublier. Dans certaines situations, il faut tout oublier et ne rien pardonner (une sale histoire amoureuse par exemple). Dans le cas présent, pour vivre moins mal le confinement, mieux vaut ne rien oublier, tout en pardonnant.

Les mots pour s’excuser ensuite, ou pour se réconcilier. Vous pouvez tenter un échange avec autrui :

« Tu es la seule qui m’aille, je te le dis sans faille. Reste cool bébé sinon j’te dirai Bye Bye.

Tu es le seul qui m’aille, je te le dis sans faille. Reste cool bébé sinon j’te dirai Bye Bye »

Vous pouvez aussi essayer avec Frida Kahlo :

Tu mérites un amour décoiffant, qui te pousse à te lever rapidement le matin, et qui éloigne tous ces démons qui ne te laissent pas dormir. 

Tu mérites un amour qui te fasse te sentir en sécurité, capable de décrocher la lune lors qu’il marche à tes côtés,

qui pense que tes bras sont parfaits pour sa peau.

 

Bon, malgré tout, il est évidemment possible que rien de tout cela ne suffise, surtout si les couples étaient déjà abîmés avant le confinement.

Et si vous vous dites que ça sent vraiment la merde pour votre couple, ça signifie que vous n’avez pas perdu votre odorat. Donc vous n’avez pas le Covid. Ça vient pas d’un psy. Mais c’est toujours ça de pris.

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[1] « Luxure, calme et volupté à la cour de Thaïlande », Paris Match, 19 avril 2020 https://www.parismatch.com/Royal-Blog/Monde/Luxure-calme-et-volupte-a-la-cour-de-Thailande-1682510#utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&xtor=CS2-8&utm_source=Facebook&Echobox=1587274610

[2] « Confinement : surpris en plein ébat sexuel dans une voiture, il avait coché la case ‘Activité physique’ sur son attestation », La Provence, 14 avril 2020 : https://www.laprovence.com/actu/en-direct/5961470/confinement-surpris-en-plein-ebat-dans-une-voiture-il-avait-coche-la-case-activite-physique-sur-son-attes

[3] « L’interview bonne humeur de Laura Felpin », Elle, 17 avril 2020

[4] F. Scoot Fitzgerald, Le réconciliateur, Op.cit

[5] F. Scoot Fitzgerald, Le réconciliateur, Op.cit

[6] « Mains propres, slips sales ? Etat des lieux de l’hygiène corporelle et vestimentaire des Français confinés », Ifop pour 24matin.fr, 19 avril 2020

[7] Alberto Moravia, Le mépris, Ernest Flammarion, 1955

[8] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Editions Maurice Nadeau, 1994

[9] « Ma casa va craquer », Op.cit

[10] https://creapills.com/tente-interieur-home-office-maison-20200415

[11] F. Scott Fitzgerald, Op. cot

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