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L’écrivain, ce confiné !

Marcos Paulo Prado TcyW6Im5Uug Unsplash

Alors qu’Ernest vient de lancer l’anti-journal de confinement, notre journaliste et auteur Laurent-David Samama estime au contraire que ce confinement va bien aux écrivains. Il nous raconte. Sur Ernest, on débat. “Remise au gout du jour par Leïla Slimani, la littérature du confinement semble faire l’unanimité contre elle si bien que l’on redécouvre à quel point l’écrivain, cet être bizarre, n’est jamais plus à l’aise que dans sa solitude égotique créative… “, nous dit notamment Samama

Depuis quelques semaines, mon collègue, compère, éditeur et néanmoins ami Jérémie Peltier vous donnait ici même des nouvelles de sa vie confinée. En toute franchise, j’avoue avoir, à ma façon, imaginé les contours d’un journal du confinement racontant le lent défilé des secondes, minutes et interminables heures à l’heure du COVID-19. Mais à vrai dire, rien n’aboutissait. L’inspiration ne venait pas. Et quand elle feignait d’honorer la main sur le clavier de trésors d’inspiration, elle ne tenait jamais ses promesses, se contentant d’amonceler des montagnes de banalité, des torrents de lieux-communs. De cette stratégie de l’échec littéraire sur fond de Coronavirus, nous pouvons tirer quelques lois littéraires. Premièrement, il faut des circonstances rares pour que l’écrivain se distingue. Si ce dernier espère être lu, sa voix mais surtout sa plume doivent se faire l’écho de situations exceptionnelles. Or, lorsque l’écrivain expérimente la même routine que son lecteur, il n’est plus qu’un semblable, un lambda, un noyé dans la masse équivalent, au mieux, un journaliste lettré, au pire à un reporter bas de gamme d’une chaine d’info en continu. Pour résumer : il est probable que rien d’exceptionnel ne sorte de l’encre du banal.

Ernest Capture Ecran Lemonde SlimaniDeuxième loi : la littérature du confinement agace. C’est ce que nous expliquait, par un tweet efficace, l’écrivain Régis Jauffret : « Écrire, oui. Sur le confinement ? Oui, si vous disposez de moins de 15m2 par personne. Autrement, vous faites chier ». Autre preuve du ras-le-bol ? La propagation rapide d’un virus très français dans ses contours, à savoir la critique acerbe de Leila Slimani, coupable d’avoir cédé au vertige égotique d’un journal du confinement dans les colonnes du Monde. On la moque. On la qualifie de bourgeoise, comme si la littérature française pouvait être autre que révolutionnaire – belle illusion, mais passons… A en croire une cohorte de twittos plus sévères que Sainte-Beuve, la prose slimanienne serait « indécente ». Rien que ça… Je n’ai pourtant rien lu de si dramatique dans la proposition littéraire « sidérée » de la récipiendaire du Goncourt. Il ne s’agit peut-être pas d’un chef d’œuvre, mais enfin l’on rêverait de lire des papiers si bien tournés, tous les jours, dans les colonnes de nos quotidiens…

Une frénésie d’écrire qui dit l’époque

Ainsi, plutôt que de les rejeter en bloc, l’autrice et son petit journal quotidien devraient nous interroger en ce qu’il racontent parfaitement l’époque et ses marqueurs : le besoin physique d’écrire dans un moment de grande virtualité, la volonté de laisser une trace à l’heure où la grande Histoire frappe à notre porte, le retour en force de la littérature du « je ». Parlons du « je », justement. On a beaucoup critiqué le nombrilisme de la romancière, sa propension à raconter le vertige du confinement dans une belle et grande maison de campagne tandis que ces semblables urbains, moins gâtés, se retrouvent enfermés dans des chambres de bonne vétustes avec leurs ultimes rouleaux de papier toilette comme horizon. Très bien. Sauf que Leïla Slimani n’est pas dupe. Elle sait même très bien à quel petit exercice elle s’emploie : « Soyez certain que dans des centaines de chambres du monde entier s’écrivent des romans, des films, des livres pour enfants, des chansons sur la solitude et le manque des autres. Je pense à mon éditeur qui va crouler sous les manuscrits. « Chronique du coronavirus », « Quarante-cinq jours de solitude » » écrit-elle. C’est juste. Très juste. Les prochaines rentrées littéraires seront vraisemblablement trustées par ces récits ampoulés racontant la privation de liberté comme un mal pénible. Comme si le fait d’être resté les fesses posées sur le canapé du salon à engloutir des chips et des bières devait être assimilé à un haut fait d’armes.

Troisième loi : l’écrivain, aussi médiatique soit-il, est un être à part. A l’instar des héros de Cent ans de solitude, il est condamné à Aaron Burden Y02jEX B0O0 Unsplashavancer seul dans la vie, en étant souvent incompris par ses contemporains. A ce titre, nous mésinterprétons probablement Slimani, et ses intentions. Cette dernière ne semble pas avoir la prétention de construire une œuvre magistrale sous nos yeux. Elle raconte simplement son quotidien selon un traitement littéraire. La nuance compte… Au fond, envers Slimani et quelques autres, il y a certainement un cri d’angoisse (et de jalousie) qui s’exprime en même temps qu’un message contre les élites. Comme une volonté gilet-jaunesque de s’insurger contre une injustice sociale bien installée en France. Pourquoi la caste aurait-elle le droit de se raconter dans une perspective romantique et narcissique tandis que nous, pauvres manants, serions condamnés à des occupations mineures et vulgaires, comme abreuver Facebook de nos selfies ? C’est qu’il y a, même dans le confinement, surtout dans le confinement d’ailleurs, la reproduction d’injustices sociales bien ancrées. Il suffit de scroller son feed Instagram pour s’en assurer. Certains subissent leur confinement tandis que les hommes et femmes de plume s’en délecteraient presque. Ce n’est pas tant une question de moyens que de voisinage avec la solitude. Il faut lire, à ce titre, le bel éloge du télétravail signé par le mythique JD Beauvallet dans AOC [2]. Ou bien ces lignes qui ouvrent le nouveau numéro du Monde des Livres, retranscrites par Jean Birnbaum : « Une femme de lettres hier au téléphone : « Depuis que je suis confinée, je me sens comme un poisson dans l’eau » ». Les écrivains jubilent (Sentiment inverse décrit par Olivia Elkaim chez Ernest, NDLR) tandis que le reste de l’humanité panique. Rien que de très normal…

Il ne reste donc plus qu’à nager, ou surnager, ensemble…

Tout le dossier confinement et écriture est ici.

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