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Sexe : les mots pour l’écrire

Mots Choisir Ernest

"La vérité est dans les romans", a-t-on pour coutume de dire ici. D'aucuns disent la même chose en parlant du réel et ou de la réalité que les écrivains parviennent à saisir grâce à leur sensibilité et leur être au monde. De ce postulat l'idée de se demander comment faisaient les écrivains pour saisir et dire la réalité d'un moment sexuel est venue. Comment écrire une scène de sexe dans un roman généraliste ? Doit-on être elliptique ou trash ? De l'avis de nombres d'auteurs c'est ce qui est le plus difficile à écrire. Et certains mots sont même bannis. Enquête.

FilippettigrandjournalPour réaliser tout l'enjeu des scènes de sexe dans un roman, il faut se souvenir de cette séquence télévisuelle dans feu « Le Grand journal » dans laquelle le chroniqueur Augustin Trapenard avait lu à voix haute un extrait d'Un homme dans la poche, roman d'Aurélie Filippetti qui était entre temps devenue ministre de la Culture. Le chroniqueur choisi cette scène de cunnilingus : « Ta tête entre mes cuisses et ta langue glissant en moi, lapant ma vulve (…) tu me léchais et je fondais longuement dans ta bouche (…) j'écartais davantage encore mes jambes pour que tu puisses en moi t'enfoncer plus avant, (…) m'embrasser aussi profondément que si mon sexe avait été ma bouche pour te répondre. (..)».

Sourires moqueurs sur le plateau, et la ministre devient gênée de ses propres mots. Ce livre, « Un homme dans la poche », paru en 2006, est le récit d'une histoire d'amour entre une jeune femme et un homme marié, sa propre histoire autobiographique. Les scènes de sexe, passionnelles, y ont donc toute leur place, elles y sont décrites longuement, avec crudité sans être vulgaires. Problème : sorties de leur contexte, elles deviennent incongrues, purement porno. Plus tard, interrogée sur le sujet, Filippetti confie n'avoir plus jamais osé écrire une scène de sexe dans un roman. Si le chroniqueur l'a lu en direct, c'est qu'il y avait l'assurance de créer un moment marquant, avec ce paradoxe apparent d'une ministre de la Culture écrivant une scène de sexe. Comme si ce type de scène n'était pas tout à fait de la littérature. Comme si, peut être aussi, c'était perçu comme plus subversif venant d'une femme… Aurélie Filippetti avait même été vannée, sans aucune classe, par Antoine De Caunes lors de la Cérémonie des Césars 2013, à laquelle elle assistait en tant que ministre. 

« On ne peut pas écrire : "touche-moi le clitoris" »

Épisode qui explique, peut-être en partie, pourquoi de l'avis de plusieurs auteurs, les scènes de sexe sont les plus difficiles à écrire. Celles qu’il faut remettre sans arrêt sur le métier. Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 pour « Leurs enfants après MathieuLGLeux », explique les avoir réécrites chacune 10 ou 15 fois « jusqu'à trouver le point d'équilibre », soit le ton juste, similaire au reste du livre. Yannick Haenel confie aussi « avoir travaillé comme un fou certaines scènes. Ça fait partie de la littérature que d'affronter ça. C'est peut-être même le lieu où l'on voit si un livre est bon ou pas ». Il se souvient avoir écrit neuf scènes de sexe dans « Cercle », toutes différentes : « de la crudité presque pornographique à la scène la plus voilée ». « La littérature c'est choisir ses phrases, ses mots. S'il y a bien un lieu où la nuance est exigée, c'est bien celui de la scène sexuelle. Le choix des mots est difficile : qu'est-ce que l'on montre, ou pas ». Pour Nina Bouraoui, auteure de plusieurs romans consacrés notamment à des histoires d'amour lesbiennes, la difficulté est d'écarter toute mièvrerie. « Je suis plus choquée par la mièvrerie que par une scène plus crue, car on passe alors à côté de la littérature ». L'enjeu, selon elle, est de « restituer l'énergie du désir qui monte » tout en ne se fourvoyant pas dans « des clichés ».

Équilibre subtil tant le risque d’être ridicule existe et peut très vite advenir ainsi que le raconte plusieurs écrivains en repensant à certains de leurs brouillons. Et on prend alors le risque d’être couronné du prix « Bad Sex in Fiction Award » (CF Encadré). Ainsi, Nicolas Mathieu s'interdit des clichés comme un sexe « turgescent ». « Je n'écrirai jamais "Il la retourne et il la pilonne" raille encore Adeline Fleury.  « Non pas parce que ce serait un rapport de domination – tout est possible, dès l'instant que c'est consentant, et le rapport peut s'inverser », souligne-t-elle - « mais ce serait une pauvreté crasse du langage ».  Camille Emmanuelle, nom de plume d'une journaliste et auteure de plusieurs romans érotiques, qui prépare un roman sur la vie d'une adolescente confie aussi : « Il y a deux écueils, soit tomber dans le niais comme écrire « petit bouton de rose » pour le clitoris, soit dans le trash qui met de la distance. Et les termes scientifique/anatomiques de la sexualité ne sont pas forcément les plus érotiques. Je ne me verrai pas écrire « touche moi le clitoris. Il faut pouvoir inventer un langage qui évite ces écueils-là. »