Petit éloge de la jouissance féminine, c’est le titre du très beau livre d’Adeline Fleury. Évidemment, il serait aisé de se dire qu’après la lame de fond #balancetonporc et #metoo sortir un tel livre est un peu facile. Ce serait se tromper car la version initiale de ce texte qui reparait, ces jours-ci, à La Musardine a paru initialement, en 2015, aux éditions François Bourin. Ce fut alors l’un des premiers textes dans ce genre. Avant “Sexpowerment” de Camille Emmanuelle ou d’autres textes comme “Labo Sexo” chez Albin Michel. Avec des mots poétiques et justes, Adeline Fleury dans un procédé littéraire oscillant entre la première personne du singulier et la troisième avec le personnage d’Adèle, racontait son chemin vers la jouissance. La vraie. Celle qui va des orteils au cerveau. Celle qui permet de mieux s’affirmer, ensuite, en tant que femme dans le monde. Tout cela Adeline Fleury fut l’une des premières à le raconter dans ce très beau texte. Récemment, Adeline Fleury a prolongé sa réflexion sur le féminisme avec un essai “Femme absolument” dans lequel elle prône un féminisme de la liberté.
Son propos est passionnant à plus d’un titre tant il se place dans une perspective d’invention de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes. Des rapports -réellement – égalitaires. Lors des dernières semaines, après les nombreux débats sur #balancetonporc et #metoo, Adeline Fleury a été l’une des signataire de la tribune du Monde dans laquelle 100 femmes parmi lesquelles Catherine Millet et Catherine Deneuve voulait apporter un autre regard. Effet – un poil – raté dans une tribune qui mélangeait pas mal de sujets. Toutefois, de tout cela il nous est apparu très important de discuter avec Adeline Fleury. Une façon bien agréable de découvrir ou de redécouvrir son très beau texte visionnaire : “Petit éloge de la jouissance féminine”. Rencontre.
Les photos sont de l’excellent Patrice Normand.
Comment ce livre sur le moment où vous avez rencontré la jouissance est-il né ?
Mon mode d’expression, c’est l’écriture. Au fur et à mesure que je vivais l’histoire que je raconte dans le livre, je tenais un espace de carnet qui est devenu le passage d’Adèle. Puis en prenant du recul quelques mois après, je me suis posée pour aborder ce sujet de la jouissance féminine d’une façon différente de ce qui existait déjà. On a décidé avec mon éditeur d’assumer l’idée de célébrer la jouissance féminine. C’est ainsi que ce “petit éloge” – carnets épars – est devenu un livre.
Pourquoi ce personnage à la troisième personne ?
J’ai choisi une double narration. Une réflexion à la première personne ou le « je » confronte son expérience personnelle aux grands textes, comme Nin, de Beauvoir, Duras, Sappho, ou des auteures contemporaines, comme Delphine de Malherbe, Belinda Cannone, l’australienne Nikki Gemmell, qui parlent d’érotisme avec finesse et élégance s’en interdire la crudité. Pour les passages plus explicites, car je ne voyais pas comment raconter la métamorphose d’une jeune femme qui découvre tardivement la jouissance sans en passer par la description crue de ce qu’elle vit, j’ai créé un double littéraire, Adèle ou la femme désirante. Une jeune femme qui se libère sur tous les plans par la jouissance. Peut-être que si je l’écrivais aujourd’hui, je l’écrirais entièrement à la première personne. A l’époque, c’était une façon de raconter ce que je considérais comme important pour les femmes, tout en me mettant, malgré tout, un peu à distance.
Cet évènement de jouissance arrive assez tard dans votre vie. Est-ce que c’est parce que l’on ne vous a jamais raconté ce qu’était le plaisir et plus largement la sexualité ?
Dans ce livre, je parle de ce rapport forcé – à l’époque du texte je ne pouvais pas écrire le mot viol – où j’ai été contrainte de faire l’amour avec un ex. J’ai une sexualité inversée. Douloureuse au départ et cela m’a construit l’ensemble de ma vie sexuelle pendant des années.
J’ai ensuite rencontré un homme plus âgé avec qui je me suis mariée, et avec qui nous avions une relation plus intellectuelle que charnelle. Nous avons construit notre couple sur une amitié-amoureuse. J’ai enfouis ma sexualité en quelques sortes. Je masquais ma féminité.
A un moment donné, j’ai eu l’impression de passer à côté de ma vie. A ce moment là, celui que j’appelle dans le livre “l’homme électro-choc” a posé sa main sur ma cuisse dans une soirée. Tout a alors refait surface.
Sans cette première fois forcée, est-ce que l’éducation, les lectures et la façon dont la société raconte la sexualité vous auraient permis de mieux vous épanouir ? Autrement dit, la société dans son ensemble est-elle prête au désir de désir pour les femmes comme pour les hommes ?
Oui et non. Sans que cela soit tabou chez moi, ce n’était pas non plus une éducation au désir dans la façon de raconter ce que peut être le respect du corps et des corps. On est beaucoup dans le message « attention » et assez peu dans les messages positifs. Ensuite, une chose s’est perdue : nos grands-mères qui, de fait, étaient plus libres apprenaient aux filles à regarder, à l’aide d’un miroir, leur sexe. Cela pour connaître leurs corps.
Dans le livre, même si c’est un double littéraire, vous racontez des choses assez crues. Est-ce qu’après ce petit éloge, le regard que l’on portait sur vous a changé ?
Oui. Les gens qui me connaissaient au boulot ont été sidérés. L’un d’entre eux m’a dit : « je ne savais pas que tu étais en train de vivre un tel bouleversement ». En même temps, ils avaient senti que je changeais dans ma vie. J’étais plus assurée, je disais non, je prenais la parole en conférence de rédaction etc…Je ne me laissais pas faire. Certaines de mes amies n’ont pas voulu le lire, arguant du fait qu’elles ne voulaient pas être dans mon lit. Ma mère m’a dit « je ne comprenais pas ce que tu vivais toutes ces années, cela m’a donné une clé de compréhension de toi ». Mon père qui est auteur lui aussi m’a juste parlé de la forme et du style qu’il avait apprécié. Après le regard des lectrices lors des rencontres en librairies a aussi été très important pour moi. Certaines me remerciaient, d’autres disaient avoir vécu la même chose. C’était passionnant de parler ainsi avec toutes ces femmes.
Dans Sexpowerment, Camille Emmanuelle dit que le fait de découvrir sa jouissance pour une femme est aussi une façon de s’affirmer dans la société, êtes vous d’accord avec cela ?
Complètement. Nous nous rejoignons beaucoup. J’ai vécu intrinsèquement cette sensation d’être meilleure dans la vie de tous les jours une fois que j’ai assumé mon corps et surtout mes envies et mes désirs. Jouir rend forte, jouir renforce notre personnalité et enfin, jouir rend fière.
“Tous les hommes ne sont pas des prédateurs et les femmes des proies fragiles”
Est-ce que cette démarche doit être collective dans la société ou est-ce que c’est le travail de chacune ?
Je pense que nous avons chacune une construction. Des degrés de tolérance différents, à des âges différents aussi. Après, le fait d’en parler, de gagner des batailles culturelles sur ces sujets est aussi très important. Je crois qu’au fond le corps féminin est aujourd’hui au cœur de très nombreux débats de société.
C’est-à-dire ?
Je parle de tous les débats autour du voile, des Femen, des incidents de Cologne. Le corps de la femme et la conception que l’on en a aujourd’hui est le pivot de très nombreuses questions profondes de société.
Dans ces débats, vous venez de prendre position en co-signant la tribune du Monde des 100 femmes qui défendent une parole différentes suite au mouvement « Balance ton porc » et « Metoo », racontez-nous pourquoi ?
J’ai signé cette tribune parce que lors que week-end, « Me too », « Balance ton porc » j’étais véritablement dans une autre dimension. J’avais la tête qui tournait. J’ai lu tout ce qui sortait. J’ai pensé qu’il se passait quelque chose de fondamental et salutaire et en même temps, je ne suis pas hyper à l’aise. Parce que « Balance », parce que « porc ». Cela me heurte et en même temps, cela peut changer littéralement le rapport homme-femme. Cela offre un champ des possibles énorme. La question était de savoir ce que l’on en faisait réellement. Cette tribune voulait rapporter de la mesure. Tous les hommes ne sont pas des violeurs de rue. J’en ai assez de la vision binaire de cette société où les hommes sont seulement des prédateurs et les femmes sont des petites choses fragiles. Les réactions à ce texte ont été complètement démesurées. Certaines d’entre nous ont même eu à justifier leur sexualité et à expliquer qu’elles avaient été violées.
Je ne supporte plus la victimisation permanente et l’homme présenté comme un ennemi à abattre. Je travaille aujourd’hui sur un livre autour des hommes dans leur rapport au corps et à l’intime.
Le corps de la femme est un enjeu, dites-vous, comment doit-on se positionner au quotidien sur ces questions là. Les clivages sur la laïcité et le voile rejoignent certains clivages féministes. La clé, c’est peut-être le corps, ou les corps ?
Quand j’entends le féminisme islamique qui revendique le voile comme une émancipation, je trouve cela antinomique. Ces femmes – au fond – rejettent plus la société française qu’elles n’adhèrent à l’idée du voile. Mais c’est très étrange comme stratégie. Dans le quotidien, je rêve d’un monde où la tenue des femmes ne serait pas un sujet et où une femme pourrait aller boire des coups au bar le soir sans sentir des regards moralisateurs sur elle.
“Balance ton porc”, “me too”, changement dans les rapports hommes-femmes : quel rôle les hommes peuvent jouer ?
L’homme doit avoir conscience de ses pulsions. Un homme est un animal sexuel. C’est pas grave. Il faut l’intégrer et se demander ce que l’on en fait. Cela passe par une prise de conscience. Après les hommes ne doivent pas se refermer complètement. Tout ne doit pas passer par le virtuel et la séduction doit encore exister. Et surtout, les hommes doivent toujours parler, ne pas s’autocensurer. J’ai un ami qui s’en ai pris plein la figure car il disait simplement qu’il « était mal à l’aise » et que non « il n’était pas un porc » etc…
“Les femmes ont les clés”
Quelle est la parole dont vous rêveriez de la part d’un homme aujourd’hui ?
C’est pas une histoire de parole. C’est une action au quotidien. C’est la conscience de la charge mentale etc (à ce sujet, lire notre interview de Titiou Lecoq )… La clé c’est aussi l’éducation. En même temps, je suis optimiste, je crois que les hommes des nouvelles générations sont très différents.
En travaillant sur mon prochain livre, autour du rapport des hommes avec l’intime, je découvre que l’on peut être optimiste. Que l’on pourrait imaginer un “Grenelle des rapports homme-femme”. Les choses sont en train d’évoluer en profondeur. Il faut juste prendre garde à ce que nous en faisons.
Ensuite, je pense que je n’ai rien à apprendre aux femmes, si ce n’est que la jouissance passe par le féminin, et qu’il faut qu’elles en soient persuadées, qu’elles comprennent que jouir ne consiste pas à entrer dans la jouissance de l’homme mais qu’il existe une jouissance supérieure, qui l’emporte sur tout. Les femmes ont les clés. Les hommes ont compris ou sont en train de comprendre ce bel enseignement : les femmes ont les clés.
Comment travaillez-vous ? Vous écrivez tous les jours ?
Oui. Sur des horaires de bureaux. De 9h à 13h tous les matins. L’après-midi, je lis, je vais parfois au cinéma, ou me balader. Le soir est souvent consacré à la relecture de ce que j’ai fait. L’écriture est une astreinte.
Quelle lectrice êtes-vous ?
J’ai découvert Anaïs Nin en écrivant le « Petit éloge de la jouissance féminine ». J’y reviens régulièrement. J’aime beaucoup Moravia aussi. Tous ses livres sont fantastiques sur les rapports hommes-femmes. J’aime beaucoup Houellebecq aussi. C’est un génie de la forme et du fond. J’aime sa poésie également. L’amie prodigieuse m’a également bluffée. Je ne lis pas trop de littérature anglo-saxonne. Enfin, Colette est pour moi l’écrivain par excellence.
Quelles héroïnes vous ont marqué ?
Emma Bovary je l’ai adoré, puis haï car elle geint tout le temps. C’est quand même une belle héroïne. Il y a le personnage de Cécile chez Sagan. Les deux protagonistes de l’Amie prodigieuse sont aussi une forme de modèle pour les femmes.
Pour aller plus loin :
– La Tribune des 100 femmes dans Le Monde
– Celle de Belinda Canone, du même jour, qui est passionnante. Son titre : “Le jour où les femmes se sentiront autorisées à exprimer leurs désirs, elles ne seront plus des proies“.
– Celle de Virginie Girod (notre interview d’elle ici) dans Le Point qui fustige les féministes qui s’insurgent contre la tribune de Deneuve une perspective historique.
– Celle de Virginie Girod et de David Medioni après le #balancetonporc dans l’Express : “Pour en finir avec le porc et la pute“
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