Ne reculant devant aucun sacrifice pour satisfaire son lectorat, Ernest a tenté de se faire publier. Raté. Ou pas. On vous raconte grâce à la plume alerte de notre journaliste, Frédéric Pennel. Surtout ce dernier a fait parler - sous couvert d'anonymat - plusieurs éditeurs et éditrices. Ils se sont lâchés. Enquête sous forme de récit.
Parmi les grands amateurs de littérature, qui n'a jamais laissé libre cours à sa plume ? Caressant parfois le rêve un peu fou d’être publié. A mon tour, j’ai cédé à cette envie. J'ai envoyé le manuscrit sur lequel je m’usais depuis des années – apparemment, ils refusent les envois numériques, à moins de mettre en avant ses faibles moyens financiers. J’ai visé une maison d’édition exigeante, mais de petite taille, comme on me l’avait conseillé. Était-ce une bouteille à la mer ? Allais-je au moins être lu ? Pouvais-je m’abandonner à l’espoir d’une éventuelle publication ? Un mois après mon envoi, j’ai reçu une réponse par lettre. Une réponse bien tournée mais standard. Une réponse de refus, quoi. Fou de rage face à l’absence de justifications circonstanciées, j’ai débarqué dans leurs murs pour exiger des explications. Le tout jeune préposé au courrier – et donc à l’ouverture des lettres et manuscrits - m’a accueilli. Comme dans la plupart des maisons, il devait s’agir d’un stagiaire affecté à l’accueil. J’élevais la voix et un éditeur est venu à la rescousse du pauvre jeunot qui ne savait pas comment gérer ma gronde. Il m’a expliqué que, tout bêtement, mon travail n’entrait pas dans la ligne éditoriale de la maison. Insatisfait par l’explication, j’ai menacé de ne pas sortir des locaux tant que je ne connaitrai pas le cheminement d’un manuscrit, dès lors qu’il franchit les grilles de la maison d'édition. Cette transparence représentait la seule chose susceptible d’apaiser mon dépit. J'ai répété cette scène plusieurs fois. Et des éditeurs m'ont raconté les coulisses...
"Le niveau des manuscrits s'échelonne du médiocre au nul", une éditrice parisienne
[caption id="attachment_6139" align="alignleft" width="372"] Photo by rawpixel.com on Unsplash[/caption]
Dans le bureau de la directrice éditoriale s’entassent des piles de manuscrits. Des piles effrayantes au fur et à mesure qu’elles montent vers le plafond. Chaque jour, quelques huit manuscrits supplémentaires y sont déposés. Et encore, il s'agit ici d'une petite maison ; dans les grandes, on s’approche plutôt de la quinzaine. Afin de désengorger la salle, les éditeurs essaient de trouver un moment pour se réunir pour « faire les piles », c’est-à-dire dépiauter ces arrivages. Des plus anciennes aux plus récentes, ils s'emparent des piles les unes après les autres. Lors de cette ouverture, on décèle un brin d’excitation. Le nouveau Flaubert se serait-il, par hasard, glissé dans l’une de ces enveloppes ? Mais c’est la déception qui succède à l’excitation.« Le niveau s’échelonne du médiocre au nul », se désolait mon interlocuteur. Autour de la table, chaque éditeur ouvre un manuscrit, en lit quelques pages au début, quelques autres au milieu.
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