Dans l’avant propos de ses pièces de théâtre, il écrivait : « J’ai toujours aimé passionnément le théâtre. Au lendemain de la guerre, j’ai découvert son pouvoir d’enchantement. » Quelques pages plus loin : « le rideau se lève. La magie est là ».
Des mots qui disent, en creux, une passion. Mais aussi et surtout ils racontent ce qui a façonné un homme. « La jeunesse s’est enfuie, mais la passion du théâtre est demeurée ». Et l’auteur de confier que tout au long de sa longue et riche existence il avait arpenté les salles de théâtre.
Il fallait d’ailleurs voir ses yeux embués alors que sur le plateau de la Grande Librairie, un soir d’avril 2021, François Busnel avait demandé à Vincent Lindon de venir lire un passage des pièces que l’homme en question avait écrit. Alors qu’il avait vécu une vie pleine et passionnante. Remplie et utile, il s’émouvait aux larmes, d’avoir pu, au crépuscule de son existence entendre ses mots être dits et joués par un acteur qu’il aimait.
Dans cet instant de télévision, Robert Badinter montrait une autre facette de lui. Celle d’un homme pour qui, au-delà de tout ce qu’il avait accompli avec brio et humanité, s’épanouissait aussi dans la création théâtrale, mais surtout dans ce que le spectacle vivant lui proposait comme émotion. Il nous disait à quel point l’enchantement du théâtre avait modifié sa perception du monde. Il racontait à quel point il considérait le théâtre comme une pierre essentielle de ce qui constituait la France.
Dans cette même émission, il confiait à quel point le théâtre avait façonné l’homme qu’il était devenu, en ce sens que les tragédies, les fictions, les vaudevilles qu’il avait vus sur scène lui avait conféré un petit quelque chose. « Un je ne sais quoi », aurait pu écrire Jankélévitch. Ce « je ne sais quoi » qui donne une consistance, qui façonne une ampleur, qui fait de quelqu’un une personne augmentée.
Robert Badinter était une personne augmentée. Non pas qu’il était un surhomme, non. Il était un homme augmenté de toute la culture qu’il avait emmagasiné en lui et qu’il avait digérée afin qu’elle était devenue une part entière de l’homme qu’il était. Il fallait le voir froncer les sourcils de malice quand il se mettait à parler de Victor Hugo, s’animer alors qu’il racontait les pièces de théâtre qu’il vénérait. Un homme augmenté au sens où toutes les expériences sensibles vécues grâce à la création artistique : littéraire, théâtrale, ou musicale, faisaient de lui un être à part. Richard Malka raconte que lorsque Badinter lui a demandé d’adapter son livre « Idiss » en BD, il s’était passionné pour la mise en bulles et la façon dont les dessins restitueraient l’histoire de sa grand-mère maternelle.
Évidemment, il faudrait aussi rappeler l’œuvre politique et humaniste magistrale de l’homme Badinter, comme une évidence. Elle l’est. Ce qui est tout autant fascinant dans le parcours de l’ex garde des Sceaux, c’est aussi la place de la culture. Comme si, peut-être l’un des enseignements de la vie inspirante de cet homme était le suivant : la création artistique dans sa dimension sensible polit les pierres humaines que nous sommes et nous augmente.
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