4 min

Des pères, ces héros

Lauren Lulu Taylor VppMdk GMo4 Unsplash

“L’attente est un enchantement” écrit Roland Barthes dans son célèbre “Fragments d’un discours amoureux.” Espérons que vous avez aussi, chers Ernestiens et chères Ernestiennes ressenti ce sentiment la semaine dernière en attendant l’Ernestine qui n’a pas pu arriver jusqu’à vous. Nous sommes désolés de cet impair. Le premier en six ans. Il y a six ans, jour pour jour, le 18 juin, Ernest était lancé. Six ans après, le journal est installé. Les auteurs et les autrices aiment l’approche de fantaisie dans la rigueur que nous réussissons à tenir depuis six ans. Les lecteurs et les lectrices, je crois, aiment notre approche.

Six ans, cela représente 1790 articles publiés sur le site, 250 entretiens, et un nombre conséquent de lettres du dimanche qui n’a pas commencé dès le lancement, mais quelques mois plus tard. En décembre 2017. Depuis six ans, Ernest est ce journal en ligne où l’on a fait le pari que les livres pouvaient dialoguer avec le monde et le monde avec les livres. Où l’on a fait le pari que la recherche de la beauté à travers la littérature nous permettait de donner du sens à nos vies et de nous ouvrir aux autres.  Cette revue indépendante qui défend une approche légère mais profonde de ce que les livres disent au monde.

Six ans, de la joie, de la passion, des doutes aussi. Des interrogations. Mais toujours l’envie de vous faire découvrir des pépites littéraires et aussi à vous faire réfléchir. Nous allons essayer de continuer dans les prochaines années.

Qu’il soit permis ici de vous remercier de votre soutien, pour certains et certaines depuis le 18 juin 2017. Merci. Merci. Merci.
N’hésitez pas à abonner vos amis, ou à leur dire de s’abonner et aussi à faire la pub d’Ernest. Vraiment.

Je vous vois, lecteurs de retour du marché et lectrices du fond du lit, vous vous dites : « il est gonflé quand même, la semaine dernière, il n’y avait pas d’édito, et cette semaine il nous fait un mail d’anniversaire. Il est asséché au niveau inspiration, Medioni ? » Cela y ressemble, un peu, mais non.

Plusieurs choses vues cette semaine qui résonnent avec ce que nous sommes.

Des pères, d’abord. Celui de « La route » de Cormac McCarthy qui traverse ce roman apocalyptique dans une histoire où la relation père-fils est peut-être l’une des plus belles de la littérature mondiale. (Lisez ici quelques fragments de Cormac McCarthy.) “Les pères doivent toujours donner pour être heureux. Donner toujours, c’est ce qui fait que l’on est père”, écrit Balzac dans “Le père Goriot”.

Sinon, évidemment, vous le savez c’est la fête des pères. Après recherches, il n’existe pas de proverbe Yiddish sur les pères aussi fort que celui partagé ici sur les mamans.  Il y a deux semaines nous avions joliment dézingué la fête des mères, dont les relents maréchalistes nous sortaient par les trous du nez. Par souci d’égalité et par pure cohérence, nous ne pouvions laisser passer la fête des pères sans réagir.
Dans les années 1980-1990 nous étions nombreux à réciter benoîtement des poèmes gnangnans ou à offrir des cendriers en terre cuite (comme si les papas avaient le monopole du cancer du poumon à venir… merci Marlboro). Aujourd’hui, nos bambins nous épargnent heureusement ce genre de niaiseries. Hélas, trois fois hélas, les réclames commerciales ont pris le relai pour nous proposer des slips brodés à la main, des t-shirts bio collector, des parfums pour hommes déconstruits, des briquets vintage, des stylos argentés pour décorer le bureau qui vient d’être remplacé par un open-space sans âme, bref autant d’objets parfaitement superflus mais indispensables à la bonne tenue de l’économie française.

Alors, chez Ernest, nous vous proposons de mettre de côté ces tendances consuméristes absurdes pour vous plonger dans de magnifiques textes qui rendent un hommage touchant à la paternité. Mettons tout de suite de côté “La gloire de mon père” de Marcel Pagnol dont l’œuvre inspira des dictées à répétition au Ministère de l’Éducation nationale, pour aller fureter du côté de la littérature contemporaine. Pour ceux qui n’auraient pas lu ce texte, nous vous conseillons de vous plonger dans le très bel hommage d’Eric Fottorino à son père adoptif dans “L’homme qui m’aimait tout bas”, disponible en poche. Un cri d’amour, une ode à la complicité père-fils, un éloge du bonheur sportif partagé. Un texte tout simplement indispensable.
Dans le registre “amour fantasmé contrarié”, continuons avec Sorj Chalandon qui, dans “Profession du père “, paru en 2015 chez Grasset, raconte un paternel aux mille aventures et métiers. Un paternel menteur qui fût agent secret en mission secrète pour tuer le général de Gaulle. A la fois drôle et tragique. Dans la série Polar, l’ami Martin Gouesse nous avait proposé en 2021 un très intéressant opus intitulé “Le silence des pères” (éditions Filatures) dans lequel la douane française, la presse et la mafia ukrainienne se livraient à des échanges musclés sous fond d’omerta familiale dans la campagne normande (à Forges-les-Eaux plus précisément).
Chers lecteurs, il n’est pas trop tard ce dimanche matin pour faire de la fête des pères un moment littéraire plein de dignité et de découvertes. Et pourquoi pas l’excellent polar de Frédéric Potier « La poésie du marchand d’armes » dont nous vous parlons ici.

Des pères symboliques. Aussi. Missak Manouchian va ENFIN entrer au Panthéon. (Nous vous en avons souvent parlé ici le dimanche matin et milité pour cette nouvelle.) De quoi recentrer, peut-être, le débat sur l’immigration. Un réfugié qui a donné son sang pour la France sera au Panthéon.
Manouchian, et Moulin (dont Frédéric Potier nous parle ici) aussi qui fit son premier acte de résistance le 17 juin 1940 et qui fut arrêté le 21 juin 1943. Son étoile flamboyante du refus de l’arbitraire et de l’idéal de fraternité ne doit jamais s’éteindre. Surtout quand les héritiers du pétainisme sont au porte du pouvoir en France et au pouvoir dans de nombreux pays d’Europe.

Des pères, des femmes et des enfants. Ils sont morts cette semaine en Méditerranée. Leur mort nous tend un miroir par rapport à l’étoile flamboyante d’hier. Sortir des postures imbéciles. La France est une société métisse. “Français de souche”, cela n’existe pas, il suffit de se plonger dans les livres d’histoire. Mais aussi dans les romans. Une société d’additionnés, aurait écrit Gary. Des Français additionnés. Comme Manouchian.

Voilà peut-être un message pour une fête des pères. Celle de nos pères, ces héros, mais aussi de nos pères symboliques. Voilà peut-être un message pour l’anniversaire d’Ernest. Nous sommes une addition.

Bon dimanche,

L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)
 
Tous nos éditos sont là.

Laisser un commentaire