Et si les pères étaient les oubliés de la littérature ? Drôle de question direz-vous. Peut-être, mais Albert Cohen et nombre d’auteurs ont écrit sur leurs mères, soit pour dire leur amour, soit pour rappeler à quel point elles furent des marâtres. Les pères, eux, le plus souvent sont violents, mystérieux ou pas forcément au centre de l’intrigue. La plus grande preuve de cela est peut-être la “Lettre au père” de Franz Kafka. Réquisitoire implacable sur l’incapacité des pères à dire leur amour. Au rang des hommages, seul Pagnol surnage.
Pendant longtemps, la littérature dans les figures de pères qu’elle créait s’est un peu bornée à ce que le patriarcat a légué à la société. Il est rare de voir des pères pleurer dans les livres, de même qu’il est rare de voir des pères dire leur amour à leur fils notamment. Il n’est pas rare non plus de voir des pères fuyants. Ils existent évidemment. Ils ont permis aussi par leurs manquements de faire éclore des écrivains. Mais peut-être est-il tant d’imaginer d’autres figures paternelles. Des pères qui au fond ressemblent à ceux d’aujourd’hui. A ces pères qui jonglent, eux aussi, avec les horaires, à ces pères qui sont pleinement impliqués dans l’éducation et l’accompagnement de leurs enfants. A ces pères qui mettent leur carrière de côté pour laisser grandir celle de leurs femmes.
Et si la littérature dessinait les contours d’une paternité nouvelle ?
Il est donc temps que la littérature fasse enfin une place à ces pères d’aujourd’hui qui contribuent à réinventer la façon dont s’agencent et s’agenceront demain les relations hommes femmes. Dans un très beau livre “L’homme qui m’aimait tout bas”, Eric Fottorino partant à la recherche de ses pères a écrit un sublime passage sur les papas. Des mots qui disent toute la difficulté et toute la beauté de la paternité. Des mots qui disent à quel point, en termes de paternité, le silence sur l’amour éprouvé peut être un poids que les enfants portent longtemps. Papas, nous vous aimons. Nous vous le disons. Dites-le aussi.
Tu m’aimais tout bas, sans effusion, comme on murmure pour ne pas troubler l’ordre des choses. Tu m’aimais tout bas, sans le dire, sans éprouver le besoin d’élever la voix. C’était si fort – la force de l’évidence – que tu ne l’aurais pas crié sur les toits. Il fallait une indiscrétion de voisin (…) pour que j’apprenne combien tu étais fier, heureux, de ce rejeton (…)