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Moyennement Loti

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Dans son “Back To Classics” mensuel, Frédéric Potier nous emmène en voyage avec Pierre Loti, académicien, immortel donc, et pourtant faillible. Récit d’une non rencontre.

Pierre Loti. Ce nom ne vous dira rien ou pas grand grand chose, peut-être au mieux un très vague souvenir de terminale littéraire. L’homme fut pourtant une célébrité à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Un écrivain par ailleurs officier de marine, grand voyageur, baroudeur, participant aux expéditions coloniales décidées en Chine en extrême-orient par Jules Ferry. Un Sylvain Tesson avant l’heure, la vodka en moins, le rhum et l’opium en plus. Loti, de son vrai nom Julien Viaud, se choisit ce pseudonyme inspiré d’une fleur polynésienne à l’issue d’une escale prolongée à Tahiti en 1872. L’officier diplômé de l’Ecole navale parcourt les mers du monde et rend compte de ses impressions dans des feuilletons pour les journaux populaires puis des romans qui connaissent un succès grandissant. C’est l’époque des grands voyages rendus possibles par la modernisation de la Marine et justifiés par l’expansion du commerce international que certains ont décrit comme “la première mondialisation”.

Capture D’écran 2023 05 12 À 15.10.55En 1886, Pierre Loti délaisse les grands romans de voyage pour explorer le quotidien des marins bretons. “Pêcheurs d’Islande” décrit ainsi la grande pêche, dure et épuisante, aux confins glacés de la mer du Nord. Dans ces étés froids et interminables, les hommes effectuent un labeur harassant de plusieurs mois pour ramener en Bretagne des cargaisons de poisson. Pendant ce temps, sur la terre ferme, femmes, enfants et vieillards veillent sur le logis en attendant le retour des braves. Évidemment, entre les tempêtes et les avaries, les pêcheurs du nord de la Bretagne payent un lourd tribu humain à cette pêche. Tous les bateaux ne retournent pas à quai et les villages bretons collectionnent les veuves éplorées et les orphelins tous condamnés à vivre chichement.
Il y a chez Pierre Loti une conception de la condition humaine marquée par un fatalisme et un pessimisme absolu : on vit, on aime brièvement mais intensément, on travaille puis on meurt, sans échappatoire. Voilà. Au moment où Zola, son contemporain, lançait un cri de révolte sociale contre la misère et l’injustice, dénonçant la passivité d’une société bourgeoise vérolée, Loti semble s’en remettre à Dieu en toutes circonstances. En cela, “Pêcheurs d’Islande” peut illustrer à la fois le conservatisme politique mais aussi la foi de l’auteur. Une foi de marin qui vogue au milieu des éléments déchaînés et des guerres et qui finalement espère assez peu des hommes. Une foi brute, peu cléricale, mais ardente.

En toute honnêteté, j’ai été assez peu sensible aux élans spiritualistes de Loti et à ses descriptions maritimes. Peut-être suis-je trop terrien, trop Capture D’écran 2023 05 12 À 15.11.40rationaliste et trop athée pour en saisir la force ou les subtilités. Pour autant, reconnaissons que l’écrivain n’était pas un médiocre. En 1891, il est élu à 42 ans seulement à l’académie française au fauteuil numéro 13 (celui de Racine mais qui sera occupée aussi par Paul Claudel, Simone Veil et aujourd’hui Maurizio Serra), contre Émile Zola jugé trop violent et trop indécent par les immortels… En 1897, il publie “Ramuntcho”, un roman ayant pour toile de fond le pays basque, une déclaration d’amour à la culture et aux traditions de ce coin de France que nous sommes nombreux à chérir. L’auteur y fait la part belle aux cultures ancestrales (les chants, les danses, les prières, les jeux…) tout comme aux activités de contrebande qui sont à cette époque en plein essor. Le texte connaîtra un vif succès et une vingtaine de réédition mais ne présente aujourd’hui qu’un intérêt pittoresque. À l’évidence Loti avait bien moins de génie que ce diable de Zola.

Reste à évoquer la postérité complexe de Loti. Encensé de son vivant, son héritage est aujourd’hui assez mince. On ne lit plus guère ses œuvres et le personnage n’intéresse plus qu’une poignée de spécialistes. Aucun écrivain actuel ne s’en réclame à ma connaissance. Il vrai que Loti, qui fut un amoureux fou de l’Empire Ottoman devenu Turquie, contesta la réalité du génocide arménien et se répandit en propos antisémites.
Comme quoi les immortels ne sont pas infaillibles. Circonstance aggravante pour les lecteurs du XXIe siècle, il refusa d’assumer une homosexualité qui semblait sauter aux yeux de ses contemporains, comme en témoigne le journal des frères Goncourt jamais avares d’une vacherie.
Bref, difficile de vendre le personnage aux jeunes générations. Loti laisse cependant à sa mort une maison sur les remparts d’Hendaye et une étonnante villa pleine de curiosités à Rochefort. Mais l’architecture n’est-elle pas une autre forme de patrimoine riche de mémoire et d’inspiration pour l’esprit ?

Tous les Back to Classics de Frédéric Potier sont là.

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