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Encore une semaine particulière les amis. De celles où la beauté s’entremêle avec la peur, les déceptions, la tristesse, les erreurs comprise, mais aussi avec l’extension du domaine de l’imbécilité. Semaine où malgré tout la littérature, comme toujours, tente de surnager.

Fin de vie
La convention citoyenne sur la fin de vie va rendre ses conclusions après plusieurs mois de délibérations. On s’achemine vraisemblablement vers un projet de loi. Faire, enfin, un pas vers la liberté de choisir sa mort. Le président de la République, jamais en retard d’une idée lumineuse, a convoqué des « penseurs » religieux à l’Élysée pour dîner. Il avait oublié de convier les laïcs humanistes qui se sont penchés depuis fort longtemps sur la question. Lire d’ailleurs, cette semaine, à ce sujet l’excellentissime roman de la caustique romancière Lionel Shriver « A prendre ou à laisser ». Dans ce livre, elle imagine deux amoureux qui alors que leurs parents viennent de passer longtemps dans leur fin de vie passent un accord entre eux. A 80 ans, ils s’en iront, ensemble. Pour ne pas devenir des poids. Réflexion passionnante sur ce qui fait le sel de la vie, sur nos amours, sur ce que vieillir veut dire. Meilleur qu’un dîner à l’Élysée. Se demander quels mots Erik Orsenna et ses acolytes vont-ils bien pourvoir proposer pour parler de ce moment de la fin d’une vie. Se délecter à l’avance de cette volonté d’inventer un nouveau langage commun. Et si les mots pouvaient aider à améliorer le monde ?

Grève
Semaine de grève. Réflexion sur un choix de civilisation, sur notre rapport au travail, sur ce que s’engager signifie. Sur l’image du gréviste. Songer à Gérard Mordillat. Encore et toujours. Qui a su dans ses romans, comme “Les vivants et les morts”, peindre avec justesse et acuité l’engagement. Ses limites et ses beautés. Loin des logiques uniquement comptables. Relire Mordillat, se balader sur les rives de Steinbeck qui, en son temps, avec ses “Raisins de la colère” fut accusé tant par la gauche que par la droite d’être trop proche de l’autre camp. La littérature comme levier de construction de la complexité. Se dire que dans ces textes tout est déjà contenu de ce qui constitue le rapport des hommes et des femmes avec le labeur, l’entreprise, et la place de tout cela dans la vie.

Grève encore
Lire dans Le Monde l’entretien d’Ovidie, ancienne star du X, ex-féministe pro-sexe qui déclare avoir cessé de faire l’amour depuis quatre ans. Du fait, principalement, de ses mauvais amants. Se prendre à rêver à “apprendre a faire l’amour” et à refaire de la séduction et de l’érotisme des langages littéraires communs (nous en avons déjà disserté dans ces colonnes, ici, ou . Visiblement, la réflexion doit continuer). Se prendre à rêver à une éducation sexuelle réelle. De celle qui exalte la beauté des corps dans leur mouvement égalitaire de désir l’un vers l’autre. Frissonner. Songer aussi à Aristophane, et sa pièce de théâtre Lysistrata dans laquelle les femmes déclarent une grève du sexe pour arrêter la guerre du Péloponnèse. “Ne faites pas l’amour et la guerre s’arrêtera.” Pas certain. Toutefois, dans cette pièce magistrale, Aristophane rappelle à quel point la sexualité est une question politique. Surtout, dans cette obscénité joyeuse, philosophique, poétique, tout est une ode à l’imagination et à la réinvention du langage et de son renversement. Imagination, langage, sensualité. Pourquoi ne l’avoir pas fait ?

Bêtise abyssale
“Il était une fois des grands méchants dirigeant le monde qui se sont ligués pour décider de prélever sur des enfants du sang afin d’en extraire l’adrénochrome, une substance moléculaire qui leur permettrait de rester éternellement jeunes. Cela pour la déguster lors de rituels sataniques.”

Stop. Un enfant de 4 ans justement hurlerait à la bêtise abyssale d’un tel scénario. “Ce n’est pas possible papa de penser des choses comme ça, c’est complètement irréaliste.” Il aurait raison. Problème : ce n’est pas une mauvaise histoire pour enfants. C’est une théorie du complot qui vient d’être diffusée à grande échelle chez Hanouna qui démontre donc qu’il n’est pas plus intelligent qu’un gamin de 4 ans. Alors les amis, si entendez parler d’adrenochrome, fuyez ou plutôt démentez, détruisez cette théorie dont le mouvement Qanon a fait l’une de ses grandes lignes intellectuelles, et relisez ensuite Las Vegas parano d’Hunter S. Thompson, dans lequel ces illettrés sont allés chercher leur “preuve” que l’adrénochrome est une drogue qui régénère puisque le héros de ce roman magistral en consomme. C’est un roman, bande d’abrutis !

Bret is back
Il avait déclaré qu’il ne voulait plus faire de la fiction car cette forme, disait-il, ne correspondait plus au monde actuel faits de séries télés, d’écrans et de réseaux sociaux. Nous l’avions raillé autant que nous avions aimé son essai “White”. Bret Easton Ellis a changé d’avis. Quel bonheur ! Son dernier livre, Les éclats est un roman d’une force rare et le signe que la fiction revient toujours. Qu’elle permet, comme dans le cas présent pour BEE, de tracer toujours mieux le chemin de sa recherche personnelle tout en en faisant une expérience universelle sur ce que nous étions et ce que nous sommes devenus. Bon retour parmi nous Bret !

La littérature peut—elle changer le monde ? Addendum.

On nous écrit suite à notre édito du 20 février dernier. “Vos mots magnifiques, touchants et émouvants que l’on aurait aimés lire pour nous disaient cela : «  Affronter les vacheries de la vie. S’interroger : la littérature peut-elle vraiment remplacer les apartés, les après-midi, les nuits, les heures de discussions, les sourires, la texture d’une peau que l’on aimait, la façon de boire une coupe de champagne, une main enchevêtrée à une autre, des lèvres posées où l’on a envie ? Pas certain. » Certainement que vous pensiez à quelque chose ou surtout à quelqu’un en particulier. La littérature ne vous aidera pas, elle a juste cette capacité à vous faire vous sentir moins seul.” Si seulement. Intéressante idée.

Et si la littérature, activité individuelle, augmentait notre sentiment d’appartenance collective ?  Voilà une belle question pour notre dimanche.

Bon dimanche,

L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)
 
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