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Les Bouffons qui n’étaient pas des fictions

Deleece Cook Sbzdce7DucU Unsplash

La fiction est un excellent moyen pour entrer dans la tête des hommes“, expliquait Giuliano Da Empoli, lauréat du Grand Prix de l’Académie Française pour son superbe “Le Mage du Kremlin”, lors de la sortie de l’ouvrage. Dans ce livre, Da Empoli imagine le temps d’une nuit une discussion avec Baranov (personnage inspiré d’un conseiller de Vladimir Poutine) au cours de laquelle ce dernier raconte au narrateur comment il a construit le nouveau « Tsar » et comment ce « Tsar » a la volonté d’imposer un nouvel ordre sur le monde. Evidemment, Da Empoli imagine à partir du réel. De ses enquêtes et des discussions qu’il a pu avoir avec le dit conseiller. La fiction rendant les choses plus réalistes encore. Comme si elles étaient patinées par la sensibilité de l’auteur. Le signe des grands livres et du pouvoir de la fiction.
Et ce matin, les amis, nous aimerions avoir ce pouvoir. L’avoir pour, comme Da Empoli, pénétrer dans la tête de celles et ceux qui nous ont mis en colère. Pour comprendre leur folie. Pour comprendre, disons-le clairement, leur bêtise crasse.

D’abord, celle du bouffon de la télé, sur C8 chaque soir devant environ 2 millions de téléspectateurs. Cette semaine le bouffon a rongé un os. Celui de l’affaire Lola. Et sans vergogne, comme la vérole sur le bas clergé, le bouffon en a fait des tonnes, célébrant même comme un nabab de la drogue son record d’audience. La colère nous a définitivement gagné alors que le bouffon s’est transformé en juge éructant contre l’État de droit, contre les Droits de La Défense et contre notre justice démocratique, en terminant par appeler à une “justice expéditive” qui conclurait forcément à la perpétuité pour la coupable. “Cela en quelques heures. C’est ce que les Français veulent”, a-t-il jubilé devant les mollassonnes délégations les idiots utiles de sa bêtise présents en plateau.

Alors, cher Bouffon, non ce n’est pas ce que les Français veulent. Les Français en ont marre de voir ta tronche, ils en ont marre d’entendre des bêtises comme celles que tu déverses chaque soir, et de voir à quel point tu jouis de la mort d’une fillette de 12 ans avec tes invités d’extrême droite présents en permanence sur ton plateau (ainsi que l’a brillamment montré une chercheuse du CNRS), quand tu n’es pas occupé à blanchir des complotistes notoires en leur donnant accès à ta tribune nauséabonde. “La fiction est un excellent moyen pour entrer dans la tête des hommes”, même avec cette maxime à l’esprit, il est impossible de comprendre ce qui conduit et autorise un Bouffon à s’ériger en juge.

A moins que ce Bouffon ne veuille être Roi à la place du Roi. Quoiqu’il en soit, un tel Bouffon est un immense danger pour notre démocratie. Quand on commence à s’en prendre aux juges et à réclamer une justice expéditive c’est toujours le signe d’une obscurité qui tombe.

Après ce premier mouvement pour pénétrer dans la tête des hommes grâce à la fiction qui a lamentablement échoué, un autre mouvement nous a gagné, celui pour tenter de pénétrer dans la tête de ces militants écolos qui ont décidé lors d’un immense conciliabule lors duquel les idées ont visiblement fusé de s’attaquer aux œuvres d’art (même vitrées) pour “alerter le monde contre l’inaction écologique”. Celle-ci, il fallait y penser.

Leur idée de génie : lancer de la soupe sur des œuvres d’art protégées par une vitre pour “éveiller les consciences sur l’urgence climatique.” Positionnées dans la grande tradition des opérations coups de poing, ces actions loupent pourtant complètement leur cible. Quand Act Up met un préservatif géant sur l’obélisque, il marque les esprits. Il ne dégrade rien, et raconte une histoire.

 Quel rapport entre « souiller » de l’art même vitré et l’urgence climatique ? Même avec l’arme de la fiction chère à Da Empoli, difficile de comprendre les motivations de ces hurluberlus (bouffons, eux aussi) qui ne vont gagner qu’une seule chose : nous conduire à évoluer dans des musées de plus en plus  sécurisés, où les œuvres seront presque toutes protégées par des vitres. La belle affaire. Là encore, quand on commence à s’en prendre à l’art c’est toujours le signe d’une obscurité qui tombe.

Évidemment, arrivés au terme de la missive dominicale, comment repartir avec le sourire ? Comment se dire que l’obscurité ne gagnera pas ? Simplement parce que nous savons, nous, que l’art nous sauvera et peut sauver l’humanité, parce que nous nous rappelons que l’art sauve et que la justice protège. Et puis, aussi parce que nous savons qu’il convient toujours d’allier le pessimisme de la raison avec l’optimisme de la volonté. Celui que nous gagnons, notamment dans la recherche de la beauté artistique.

Bon dimanche,

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