Aurélie Filippetti, ex-Ministre de la Culture de François Hollande est une très grande lectrice. Une romancière remarquable aussi. Guillaume Gonin est parti à sa rencontre. Au menu : fiction, joie de l'écriture et recherche de la beauté.
Photos : Patrice NORMAND
Longtemps, mes messages étaient demeurés sans réponse. Toujours plus succinctes, parfois décalées, mes relances tombaient à plat. Sans être vexé, je trouvais cela curieux : mon interlocutrice n’avait-elle pas le profil idéal pour cette chronique ? Les mois devenant des années, je franchis le pas en l’appelant, en dépit de ma réticence en la matière. Or, une voix masculine m’indiqua que, de toute évidence, je ne m’adressais pas à l’ancienne députée et ministre de la Culture. Quelques jours plus tard, l’erreur corrigée, la vraie Aurélie Filippetti me donna son accord.
Toutefois, le suspense était amené à se prolonger ; en effet, si l’idée d’une bibliothèque des politiques hors-les-murs l’avait séduite, la fermeture des cafés et les travaux des bibliothèques ont contrecarré nos plans – si bien qu’en sautant dans le train à Bordeaux, je ne connaissais pas encore ma destination finale. Et puis, nous nous sommes entendus sur la terrasse de la place Colette, tampon entre le ministère de la Culture, qu’elle fréquenta de 2012 à 2014, et la Comédie française, où elle emmène désormais ses étudiants et assouvit sa passion dévorante pour le théâtre. Sans oublier la librairie Delamain, plus ancienne de Paris, institution littéraire en soi. « Finalement, c’est bien qu’on se soit retrouvés ici », nous glisse-t-elle dans un sourire, après avoir commandé une limonade. Sous les meilleurs auspices, au carrefour des forces qui ont guidé son existence, l’entretien pouvait (enfin) démarrer.
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La quatrième de couverture de votre dernier livre dit ceci de vous : « romancière, enseignante, ancienne députée et ministre de la Culture ». Que pensez-vous de cet ordre : coquetterie littéraire ou biographie plutôt fidèle ?
Aurélie Filippetti : Je crois que cet ordre ma va bien. Disons qu’il s’agit du plus personnel : romancière est ce qui touche le plus à l’intime, ce qui est le plus profond et le plus permanent. J’ai toujours écrit, y compris petite fille, et j’espère que j’écrirai toujours ! Enseignante, c’est mon métier. Ensuite, il y a les mandats politiques. C’est une fierté d’avoir été élue deux fois députée. Car je rappelle que si l’on est nommée ministre, on est élue députée …
En campagne électorale, mettiez-vous en avant ce parcours littéraire ?
Aurélie Filippetti : Oui. D’ailleurs, le fait même d’avoir écrit mon premier roman en 2003, intitulé « Les derniers jours de la classe ouvrière », m’a permis de renouer ce lien politique avec la Lorraine. Et tout au long de la campagne, en 2007, les gens me parlaient de ce livre. Il y avait donc une cohérence entre ce livre et mon engagement politique en Lorraine.
Vous traduisiez politiquement ce que vous aviez écrit.
Aurélie Filippetti : Oui, les deux étaient intimement liés. Et puis, l’histoire de la Lorraine est connectée à ma propre histoire, celle de ma famille. Le travail d’écriture est toujours tourné vers soi, même si on peut plus ou moins le dissimuler, le mettre à distance. On travaille avec la matière dont on dispose, c’est à dire soi-même et le regard qu’on pose sur les autres. Même si ce qu’on écrit n’est pas toujours autobiographique, dans le sens où ce n’est pas vécu tel quel, c’est toujours lié à nos sensations, nos regards. Heureusement, d’ailleurs ! Un écrivain ne peut pas être remplacé par un autre. Demeure donc cette dimension éminemment personnelle. Peut-être que la fiction est ce qui dit le plus sur soi : le choix des sujets, la construction de personnages, tout cela dit beaucoup d’une personnalité.
"L'auteur n'a pas de pacte de véracité avec le lecteur"
Vous attachez de l’importance à l’émetteur autant que l’histoire ?
Aurélie Filippetti : Non, ce n’est pas ce que je recherche. La biographie des écrivains m’intéresse assez peu. Ce compte à mes yeux, c’est le style, cette retranscription du regard. C’est un style qui fait un écrivain : la construction des phrases, le choix des mots. Je suis très sensible à la musique des mots. D’ailleurs, l’écriture est une musique !
En écho à votre réflexion, le premier mot qui me vient à l’esprit en pensant à votre roman, « Les idéaux », est : intime. Non pas tant l’intimité du couple tiraillé que vous décrivez – mais un rapport intime à l’engagement politique, peut-être à vos espoirs et déceptions.
Aurélie Filippetti : Je ne dis pas que tout est vrai, au contraire ! Dans ce que j’écris, il y a des choses fausses, inventées, mélangées, reconstituées. Je n’ai aucun pacte de véracité avec le lecteur. (Rires) Souvent, les lecteurs imaginent que la dimension sentimentale est la plus proche de la vérité, qui est pourtant la plus fictionnelle du livre ! Mais vous avez raison, cette désillusion de traversée du pouvoir fut le plus intime dans ce livre, et le plus douloureux.
Ce livre était-il une catharsis ?
Aurélie Filippetti : Pas forcément, parce que la politique n’est pas faite de passions négatives. Mais j’avais un fort besoin d’analyse, c’est vrai. Or, écrire, c’est aussi approfondir sa propre pensée. Quand on écrit, on va plus loin qu’avec une simple pensée intérieure.
Des choses inédites émergent grâce à l’écriture. Réfléchir sur le pouvoir de cette manière me fut précieux. J’aurais pu faire un essai, mais le romanesque permet de laisser des zones d’incertitude, des questions en suspens, s’interroger, donner plusieurs points de vue …
Comme dans la vie
Aurélie Filippetti : Exactement ! La fiction colle peut-être plus à la réalité, le roman apporte un plus par rapport à l’essai, à commencer par la fluidité de lecture. Et puis, en lisant, j’aime bien ne pas savoir exactement où je suis. J’aime que le vrai se mélange avec le faux, car le réel émerge de cela. Ou, du moins, une certaine réalité. Appelons cela le flou artistique !
Les sentiments sont vrais, mais leur traduction est libre.
Aurélie Filippetti : Oui ! Au fond, cela correspond à la démarche des impressionnistes qui, au lieu de rendre le réel tel quel – dans ce cas, autant abandonner –, peignent l’impression que cela leur fait, par touches. En littérature, on peut tendre vers cela, construire un récit par touches. D’ailleurs, une construction linéaire de récit m’a toujours profondément ennuyée. Je trouve que cela ne correspond à aucune espèce de réalité ! La vie est tout sauf linéaire.
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