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Esthétique d’une canicule

Matt Palmer ZCwDV Al0mM Unsplash

Ce mois-ci, Renaud Large nous livre une chronique en forme d'alerte grâce au livre de Jean Hegland. Alors que la planète crame, le sensible peut nous aider à mieux envisager les solutions.

Un mercure qui flirte avec les 40°C avant le début de l’été, des sols accablés par le stress hydrique, une sécheresse qui met en péril les cultures, nous vivons, en pointillés, les prémisses de la crise climatique qui vient. Notre quotidien est devenu le prologue de l’apocalypse thermique. Cet avant-goût édulcoré nous laisse imaginer l’ampleur des dégâts à venir. L’eschatologie est d’abord environnementale. Devant l’imminence du péril, plusieurs attitudes se font jour. Certains nient l’évidence, ou minorent son impact. D’autres rivalisent d’ingéniosité pour détourner le tir mortel de la flèche du destin. Les derniers se préparent avec le plus de sérénité possible à l’inéluctable effondrement. Les collapsologues vivent déjà dans l’après-civilisation; ils anticipent le choc, pour adoucir sa brutalité.

Avec "Dans la forêt", Jean Hegland nous a propulsé dans cet au-delà. Loin des manuels millénaristes ou des bréviaires en développement personnel new age, elle a créé une esthétique de la décélération et du dénuement. Nell et Eva, deux sœurs, adolescentes orphelines, apprennent à vivre dans un monde post-apocalyptique. L’électricité, l’essence et les biens de consommation viennent à manquer. C’est la forêt, voisine mystique de leur demeure californienne, qui va pallier ces manques et devenir leur tuteur de vie. Il serait impropre de voir cette œuvre comme une ode à la décroissance. Elle est plutôt une quête initiatique vers un autre progrès, un progrès à hauteur d’hommes. Dans une interview croisée avec François-Xavier Bellamy, donnée à la revue Limite, François Ruffin explique : “Le progrès humain, nous ne pouvons plus l’attendre de la production, de l’innovation, de la consommation d’objets sans cesse nouveaux. Mais, je ne renonce pas à l’idée de progrès pour autant (...) Je ne pose pas de critère de tri a priori, je sais seulement les finalités que je poursuis : la justice sociale, l’égalité, que l’humain ne s’ajoute pas des chaînes, pour lui ou pour les autres, mais plutôt qu’il s’en libère autant que possible. Et bien sûr, qu’on puisse vivre sur cette terre avec une eau buvable, un air respirable. [1]