Voilà un essai remarquable, accessible et plein d’allant. Un essai pop où la philo est une discipline enivrante. Son thème, vaste : le bonheur. On referme le livre avec le sourire et la fringale de vivre. Essentiel.
“Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie”, écrit Camus dès le démarrage du “Mythe de Sisyphe”, comme pour rappeler que la question du bonheur est présente à chaque fois que l’individu s’interroge sur le sens de la vie. C’est dire combien s’attaquer à la question du bonheur est toujours une gageure. Professeur de philosophie, Marianne Chaillan termine toujours l’année de terminale avec ses élèves autour de cette question. La première de l’année c’est : peut-on vraiment penser par soi-même ? Vaste programme. Son essai “Où donc est le bonheur ? ” (Editions Les Equateurs) est tout sauf une gageure. En effet, avec une approche initiatique et philosophique, Chaillan met à mal tous les ouvrages de développement personnel qui sont devenus des injonctions marketing au bonheur. Si tu n’es pas heureux, tu as raté ta vie. Pis, si tu ne recherches pas le bonheur, alors tu n’as rien compris.
Chercher la vie, plus que le bonheur
Marianne Chaillan invite à une autre approche et pose une autre question : et si chercher le bonheur était déjà l’assurance de ne jamais le trouver. “Vivre et agir selon un plan tracé d’avance sont deux actions antinomiques », écrit-elle avant de proposer de ” regarder la vie en face, l’aimer pour ce qu’elle est, comprendre qu’il n’y a pas d’envers sans endroit et accepter de les embrasser l’un comme l’autre”, car “l’idée même du bonheur est le meilleur moyen d’être profondément malheureux.” Sa plume est vive, didactique et passionnante. Son livre résonne avec le nouveau numéro du 1 : Existe-t-il un bonheur français ? Dans ce numéro qui est le 400e de l’hebdomadaire fondé par Eric Fottorino, un viatique : celui de Philippe Delerm : “le bonheur c’est quand on a quelqu’un à perdre”, écrit l’auteur de la “Première gorgée de bière”.
Un autre résonne encore plus fort : celui d’Alexandre Lacroix (dont nous vous parlions ici et là). Le philosophe écrit : “Deux couples me paraissent essentiels au bonheur français : le goût des lettres et du sexe, celui des paysages et du vin” (…) “Des livres, des vins, des paysages et des moeurs faciles : je ne saurais quoi ajouter à ce quatuor pour composer un bonheur parfait“. Des mots qui prolongent ceux de Chaillan, qui conclut son ouvrage ainsi : “Vous voulez être heureux ? Vivez. Vivez vraiment. Détournez-vous de la vie calme et répétitive, ce somnifère qui fuit le risque, les passions violentes et les aventures. Soyez fidèles à la surprise et aux hasards. Osez. Soyez cette vague qui déferle, se brise et renaît ailleurs, plus loin. Vivez”. En somme, le viatique c’est de vivre, de se sentir vivant à chaque instant et d’utiliser les philosophes et les différents plaisirs de la vie comme boussole sur le chemin. Ainsi, peut-être, pourrons-nous dire comme Gary à la fin de la “Promesse de l’aube” : “J’ai vécu”.
Et se souvenir d’avoir lu dans le célèbre “monde de Sophie” de Jostein Gaarder, le poème norvégien suivant qui résonne, lui aussi, avec tout cela :
Honore le court printemps de la vie
Qui est à l’origine de toute chose sur terre !
Le plus infime connaîtra lui aussi une résurrection,
Seules les formes se perdent.
Les générations engendrent de nouvelles générations,
laissant s’épanouir l’humanité plus avant ;
l’espère engendre l’espèce
pendant des millions d’années.
Les mondes déclinent et renaissent.
Mêle-toi à la jouissance de la vie, toi qui pus fleurir
En son printemps,
savoure chaque instant comme un hommage de l’éternel
offert à la condition des hommes ;
apporte ta modeste contribution
au tourbillon infini,
même faible et insignifiant,
enivre-toi
de l’éternité de cette journée !
“Où donc est le bonheur”, Marianne Chaillan, Les Equateurs
Le 1 Hebdo :”Existe-t-il un bonheur français”, n°400.