“Comment envisager la chute de la grande nation des penseurs et des poètes dans la haine de la Raison ?” Cette question résume à elle seule la problématique que le journaliste et essayiste Alexis Lacroix offre à ses lecteurs dans son dernier ouvrage intitulé “La République assassinée. Weimar 1922”, aux éditions du Cerf.
Alexis Lacroix ouvre son essai sur Berlin. Nouvelle métropole du jeune XXe siècle, elle quitte son statut de capitale impériale prussienne, faite d’ordre et d’austérité, pour accueillir tout ce que la culture européenne compte de musiciens, d’écrivains mais aussi de sociologues (Simmel), de juristes (Kelsen) et de philosophes humanistes. C’est là, à Berlin, que se joue le premier acte de la chute de la République de Weimar. Son brillant ministre des affaires étrangères, Walther Rathenau, est assassiné par l’extrême-droite. Parce que juif. Parce que socialiste libéral. Parce que démocrate. Parce que ministre tenant d’une diplomatie d’apaisement et de petits pas pour se réconcilier avec ses voisins européens et assouplir le traité de Versailles. Au fond, Rathenau incarnait toute l’ambition de la République de Weimar, qui entendait rompre avec le cléricalisme et une conception raciale de la citoyenneté.
Mais ce projet universaliste et démocratique, fondé sur les ruines de la Première guerre mondiale, a fait simultanément s’élever “la lame de fond d’une contre-offensive, conservatrice, réactionnaire et, de proche en proche, pré-nazie” comme le note avec justesse l’auteur. Une “réfutation des principes de 1789” selon les mots du grand Raymond Aron. Weimar fut affublé du qualificatif de “JudenRepublik”, “République des juifs”, par une droite allemande cédant tout à sa frange la plus extrémiste. Avant Hitler, avant Mein Kampf…
Or rien n’était écrit d’avance. La jeune République avait su impulser des réformes démocratiques et sociales importantes tout en résistant à des assauts violents de la part des extrémistes. Mais ce régime a eu le tort de s’attirer les foudres de la gauche révolutionnaire aussi bien que les attaques violentes de la droite réactionnaire. Tirs croisés et feux nourris sur la démocratie bourgeoise !!!
Richement documenté, ponctué de citations d’intellectuels de l’époque, l’essai d’Alexis Lacroix nous parle naturellement de la France d’aujourd’hui. En revenant sur l’effondrement de Weimar, l’auteur nous donne à voir les dangers d’une pureté révolutionnaire qui se refuse à voir la difficulté des progrès démocratiques, la fragilité d’un projet humaniste au final balayé par une vague autoritaire et nationaliste. En résumé, une autoroute vers le nazisme à laquelle tout le talent lumineux d’un Thomas Mann – dont Alexis Lacroix dresse un portrait touchant -ne suffira pas à faire obstacle. Un livre à lire pour mieux comprendre les choix qui se présentent à nous…
Le hasard a voulu que je reçoive le même jour un petit manuel signé d’Alain Chouraqui, le directeur de la Fondation du Camp des Milles à Aix-en-Provence. Publié chez Actes Sud, il est intitulé “Le vertige identitaire”. Il s’agit en quelques mots d’un petit guide de survie à destination des démocrates et des authentiques républicains. Il décrit avec pédagogie et clarté les mécanismes par lesquelles les démocraties s’abîment puis sombrent dans l’autoritarisme. Évidemment, le lien avec le livre précédent est tout établi…
Voilà, sinon, sans être trop lourd (mais quand même un peu), n’oubliez pas d’aller voter. Chaque voix compte en démocratie, du moins tant qu’elle existe encore.