Delphine Horvilleur est de ces voix qu’il est toujours bon d’entendre et d’écouter. Une voix qui sait poser des mots sur nos maux mais qui sait aussi dire l’espoir de demain et regarder le miroir qui lui est parfois tendu. Delphine Horvilleur est une femme, rabbin, juive, féministe et libre. Nous la suivons depuis longtemps et ses mots, ses livres, ses interventions dans les médias, son journal “Tenou’a” donnent toujours plus envie d’apprendre, de lire et d’étudier. Avec une exigence intellectuelle, avec le sourire et la certitude que la vérité est multiple et plurielle. Son dernier livre, “Réflexions sur la question antisémite”, dans un clin d’œil à Sartre, ne déroge pas à la règle. Frédéric Potier, notre monsieur essais, l’a lu pour nous. Il a envie de crier : #JESUISDELPHINE
Par Frédéric Potier
Femme, féministe, rabbin, figure de proue du judaïsme libéral, Delphine Horvilleur bénéficie ces derniers jours d’une forte exposition médiatique à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage “Réflexions sur la question antisémite”. Autant le dire d’emblée, Delphine Horvilleur ne laisse personne indifférent suscitant à la fois des enthousiasmes appuyées, des critiques acerbes et pas mal de jalousie. Et pourtant on aurait bien tort d’en rester au plan de communication soigneusement organisé d’une main de maître par les éditions Grasset. Car il faut oublier (un peu) Delphine pour se concentrer sur ce qu’écrit le Rabbin Horvilleur. Et le rabbin Horvilleur mène une enquête passionnante sur ce qui disent les textes religieux de l’antisémitisme en général et des antisémites en particulier. Il s’agit en effet d’un ouvrage grand public plongeant dans la théologie, ce qui est suffisamment rare pour être relevé.
Un essai grand public qui mêle finesse d’analyse et humour
Delphine Horvilleur commence par prendre le contre-pieds de Jean-Paul Sartre pour lequel (en gros) c’est l’antisémitisme qui fait le juif. Cette thèse, qui a été longuement discutée, fait totalement l’impasse sur ce que dit le judaïsme de l’antisémitisme, et c’est ce manquement que Delphine Horvilleur cherche à combler dans cette période de recrudescence de la haine anti-juive (+70 % du nombre d’actes antisémites en 2018). Au fond, la question qu’elle pose est : quel est le problème des antisémites avec les Juifs ? La question est vaste… l’une des réponses que Delphine Horvilleur apporte tient dans le fait que l’antisémitisme, contrairement au racisme, est fondé sur une forme de complexe d’infériorité : “le juif est au contraire souvent haï, non pour ce qu’il n’a pas mais pour ce qu’il a. On ne l’accuse pas d’avoir moins que soi mais au contraire de posséder ce qui devrait nous revenir et qu’il a sans doute usurpé“. Cette motivation étant antique, Delphine Horvilleur déroule sous nos yeux de lecteur les épisodes bibliques ou les analyses rabbiniques décortiquant ce mécanisme. C’est aussi l’occasion pour l’auteur de revenir sur certains de ses thèmes de prédilection comme le refus de l’enfermement identitaire, les questions de filiation et de transmission, la sexualité et le virilisme, la place des Femmes, la relation entre la volonté de puissance et ses limites internes… Elle slalome avec finesse et humour de la théologie à la psychanalyse en passant par la philosophie. Elle interroge les textes, s’interroge, nous interroge et se garde bien de toute réponse facile et définitive.
C’est dans le dernier chapitre de cet essai captivant que Delphine Horvilleur descend véritablement dans l’arène du débat public. Avec courage elle dénonce les discours essentialistes, en particulier ceux du Parti des Indigènes de la République, et sa vision communautaire du monde qui fait du féminisme universaliste une “invention blanche”, et du juif “un tirailleur sénégalais de l’impérialisme occidental” (selon les expressions scabreuses de Houria Bouteldja). Avec courage, le Rabbin Horvilleur pourfend ceux qui dénoncent “l’appropriation culturelle” et qui interdiraient à une personne d’adopter les codes vestimentaires ou culturels d’un groupe dit dominé au nom de sa protection. Elle dénonce avec la même vigueur ceux qui à l’extrême-gauche renvoient les juifs à un statut de « privilégiés » au service des « dominants » : « Les identités et les définitions réduites à leurs caricatures ; la négation des individus au profit de catégories qu’ils incarnent ; tout cela produit un étrange cocktail : certains sont coupables pour ce qu’ils sont et d’autres innocents quoi qu’ils fassent ». Elle rappelle avec force son attachement à Israël, le seul État au monde dont le droit même à exister est régulièrement mis en cause. Le seul État qui subit des mouvements de boycott insistants, que certains osent comparer sans rire à la Corée du Nord ou la Chine. Oui, Delphine Horvilleur défend le sionisme, dont l’idéal progressiste a été trop perdu de vue, tout en s’affirmant en faveur de la création d’un État palestinien. En conclusion, à la question « qu’est-ce que l’identité juive », Delphine Horvilleur répond par une impossibilité de répondre. « Et cet indicible est peut-être la meilleure définition que je puisse en donner, l’authentique et impossible énoncé de ce qu’être juif, de ce qu’être soi ».
On referme ce livre impressionné et interloqué par cet odyssée biblique dans les vertiges de la haine. Il n’épuise évidemment pas l’ensemble des enjeux et des problématiques mais il donne à penser à partir de clefs de lecture très riches et fécondes. En matière d’antisémitisme, il n’y a que des combats écrivait récemment l’historien Vincent Duclert, le grand spécialiste de l’affaire Dreyfus. Le combat que mène à sa manière Delphine Horvilleur est éminemment respectable et plein de promesses. Combat pour les lumières, pour le doute, pour la complexité, pour le dialogue, on a envie de finir cette chronique en tweetant simplement #jesuisDelphine.