5 min

Texas addiction

Enrique Macias BXXYZ4HtGxU Unsplash

Attica Locke. Ce nom est celui d'une grande dame du polar et du roman noir à l'américaine. Philippe Lemaire nous parle de son dernier roman, fait réagir l'autrice et nous plonge dans les USA post-Trump et le sort difficile des noirs au Texas. Une belle discussion avec cette autrice qui va compter plus encore dans les années à venir.

Elle n’est pas seulement la voix du Texas dans la géographie de la littérature policière américaine, elle est une voix influente sur la carte mondiale du polar. Déjà primée pour ses précédents romans, Attica Locke, 47 ans, en signe un cinquième qui confirme la singularité de son talent. Une histoire poignante et en prise sur l’époque, des personnages pleins d’humanité, une toile de fond fortement politique… c’est à grands traits ce qui caractérise « Au paradis je demeure ». Elle y conjugue son identité texane à sa vision aigüe d’une société fracturée, d’une autorité viciée et d’une ségrégation persistante.

A Mathematician (?)Ce livre est le deuxième d’une trilogie centrée sur un personnage de policier noir, Darren Matthews. Officier des Texas Rangers, une agence de la police d’Etat, il est envoyé élucider la disparition d’un enfant dans une communauté de blancs pauvres, dont les mobil-homes voisinent les cabanes de familles noires et indiennes tout aussi pauvres. On est près de la Highway 59, au bord du lac Caddo, à la frontière de la Louisiane, une région qui n’est pas seulement sauvage par sa végétation. Les suprémacistes blancs y ont pignon sur rue et le shérif évite de les contrarier.

"Ce roman possède une âpreté qui reflète mon sentiment face à ce qui est arrivé à mon pays"

Pour en parler, Attica Locke nous a donné rendez-vous en ligne. Durant nos trente minutes d'entretien en visio, elle va se montrer volubile, passionnée, chaleureuse... On lui avoue qu’après « Bluebird Bluebird », on a cru sentir dans ce deuxième volet un élan différent. Comme une forme de colère ? « Je dirais qu’il est plus brut, plus âpre, nous renvoie-t-elle. Et cette âpreté reflète mon sentiment face à ce qui est arrivé à mon pays. » Quand elle a imaginé cette histoire où le FBI cherche, contre l’intuition du Ranger intègre, à conclure à un crime de haine antiblanc, les Etats-Unis étaient en pleine présidence Trump.

« Je vois maintenant cette trilogie de la Highway 59 comme une série sur l’ère Trump et ce n’était pas ce que je voulais à l’origine, explique-t-elle. Quand j’ai écrit le premier volet, Trump était dans l’air du temps, mais jamais je n’aurais imaginé qu’il soit élu. C’est mon inconscient qui fait l’essentiel du boulot, et mon inconscient est un meilleur écrivain que moi. » Certes, dans « Bluebird Bluebird », la police fédérale fait déjà pression sur l’enquête. Et le Ranger affronte un suprémaciste convaincu « qu’en dehors du Texas, le monde était un cloaque où régnaient la mixité raciale et la confusion sur l’identité des bâtisseurs de ce pays » (p. 229). Mais le livre ménage tout de même une lueur finale, concevant que Blancs et Noirs puissent partager davantage qu’ils ne le croient, en particulier quelques enfants naturels.