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Drôles de flics

Tom Grunbauer OxZ9KDF VVI Unsplash

Comment se réinventer dans le roman noir, alors que décliner le catalogue des représentations du Mal n’offre pas des ressorts infinis ? Comment un auteur peut-il se distinguer et surprendre un public sans cesse en quête de sensations nouvelles ? Certains puisent dans le réel, dans l’air du temps. D’autres, au contraire, poussent les curseurs du scénario vers le spectaculaire, l’inimaginable. D’autres enfin créent un personnage central - policier, privé, détective amateur – qui casse les codes et apporte un regard neuf sur la face criminelle de l’humanité… Ernest a trouvé ainsi, dans la production de ces derniers mois, quatre romans particulièrement captivants qui sont centrés sur de « drôles de flics » à l’écart des clichés du genre…

« Une cathédrale à soi », James Lee Burke,  (Rivages)

9782743653071

Avec ses deux héros plus fracassés que jamais, il est à 84 ans l’auteur qui bouscule le plus les stéréotypes de la fiction policière. Dans ce 23e roman de la saga Dave Robicheaux-Clete Purcell, le pilier des écrivains du Montana plonge le duo dans une atmosphère de cataclysme et une narration bombardée d’ellipses. L’intrigue, s’il faut en sortir une, repose sur la disparition entre New Iberia et Bâton-Rouge d’une jeune femme, simple pion entre deux familles mafieuses rivales. Mais pour distinguer un semblant de procédure dans les recherches, il faut s’accrocher.

A vrai dire, l’intérêt n’est pas là mais dans l’atmosphère, les élans lyriques, cette emphase qui, chez James Lee Burke, en dit davantage que la narration pure. Le flic déchu et son vieux pote borderline vivent un cauchemar éveillé, avec l’impression « d’entrer et de sortir du temps ». Il souffle un vent à déchiqueter les palmiers, les matins sont brumeux, les eaux du bayou fiévreuses, le ciel chargé d’électricité. La tempête s’invite jusque sous les cranes.

Les deux redresseurs de torts sont deux brutes réduites à leurs pulsions. Ils brisent des cœurs et cassent des têtes, emportés par l’excès d’alcool ou le sevrage. Ils en ont tellement vu, tellement vécu, du Viet Nam aux bas-fonds de leur Louisiane aimée, que franchir les lignes ne les embarrasse plus. Débordant d’empathie pour les victimes, fussent-elles hors-la-loi, mais prêts à terroriser les bourreaux. Et ce ne sont pas les candidats qui manquent.

Dans ce livre écrit sous l’ère de Donald Trump et fortement marqué par le climat politique du moment, l’auteur injecte dans son casting de crapules une forte dose d’extrémisme. Suprémacistes et néo-nazis sont les alliés naturels des mafieux locaux, nostalgiques de l’esclavage, qui se voient un avenir de conspirateurs. Pour les deux enquêteurs, c’en est trop. L’un démolit sans sommation un gros bras qu’il interroge, tandis que son complice brandit partout l’image d’une famille gazée à Auschwitz.