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Le monde d’hier

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“Ce sentiment de sécurité était le bien le plus désirable pour des millions de personnes ; l’idéal de vie commun (…). Le 19è siècle avec son idéalisme libéral était sincèrement convaincu d’être sur la voie qui menait en droite ligne et infailliblement au meilleur des mondes. Cette foi dans le progrès avait la vertu d’une religion sans dogme. Quant aux rechutes dans la barbarie telles que les guerres entre peuples européens on y croyait aussi peu qu’aux sorcières ou aux fantômes. Nos pères nourrissaient une confiance persistante dans le pouvoir de la tolérance et l’esprit de conciliation qu’ils voyaient comme une obligation à laquelle tout le monde serait tenu de souscrire. Ils pensaient sincèrement que les lignes de divergences entre les nations et confessions s’estomperaient progressivement pour se fondre dans une dimension humaine commune.” Ces mots de Stefan Zweig tirés du “Monde d’hier” son dernier texte finalisé quelques jours avant son suicide le 22 février 1942 au Brésil résonnent avec une force puissante alors que le dictateur Poutine outrepasse les frontières souveraines de l’Ukraine et déclare clairement la guerre aux démocraties occidentales libérales imparfaites, mais libres profondément , dans lesquelles nous vivons. Peut-être comme les pères de Zweig ne pensions nous plus possibles l’idée même d’une guerre qui viendrait frapper à nos portes. Et pourtant…

Des mots qui disent la mélancolie d’un Zweig fuyant l’Europe, se réfugiant au Brésil mais ne supportant pas la possible disparition de l’Europe qu’il avait tant aimée. En lisant ces mots en résonance avec l’actualité, soyons honnêtes avec vous lecteurs et lectrices du dimanche, au fond de votre lit ou dans votre journée, nous avons versé des larmes. S’être senti faible. Histoire qui se répète. La colère et la tristesse ne sont jamais bonnes conseillères et pourtant elles sont là. Avouons-le.

Heureusement, les livres, les mots sont là aussi. Dans un texte magistral peu connu mais réédité récemment, et intitulé “Un occident Kidnappé“, Milan Kundera écrit : “L’identité  d’un peuple ou d’une civilisation se reflète et se résume dans l’ensemble des créations spirituelles qu’on appelle d’habitude « culture ». Si cette identité est mortellement menacée, la vie culturelle s’intensifie, s’exacerbe, et la culture devient la valeur vivante autour de laquelle tout le peuple se regroupe.”

Lire cela et se dire que de ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine et donc en Europe, dans une démocratie, fera naître une culture nouvelle et des créations qui nous émouvrons demain, donne une forme de lumière. Faiblarde, il faut bien le reconnaître. Mais rayonnante malgré tout.

 Se dire que par les mots, le rire, les écrits, la force de la résistance, la puissance de ce que veut dire le mot Europe, nous parviendrons, peut-être, à ne pas laisser l’histoire se répéter à nouveau. Que nous agirons plus vite et plus fort. C’est du moins ce que nous laissent espérer tous les livres, toutes les peintures, toutes les chansons, tous les écrits passés qui tendent vers notre présent et donc notre avenir. Se dire qu’il ne faudrait pas que des Stefan Zweig aient à écrire des “monde d’hier”.

 Et puis se demander si les mots ont un sens ? S’ils peuvent servir. Penser à tous ceux écrits par les journalistes rendus muets par l’agresseur d’aujourd’hui. Se dire que ces mots sont vivants. Se dire que la guerre est là. Se dire qu’il appartient à chacun et chacune, avec ses armes de s’y opposer. Pour sauver ce qui nous unit. Simplement. Dans la beauté de ses imperfections.

L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)

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