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Quand y’en a marre, y’a Magellan

Magellan Bateau

Ce matin, Ernest vous raconte une petite histoire. C’était un 6 septembre. Au sud de L’Espagne. Certainement qu’il faisait beau ce jour-là, et que l’événement qui allait advenir n’était plus attendu par les habitants de cette ville qui, à l’époque, était l’un des phares culturels et économiques du monde. Ce matin de 1522 sur le port de Séville (San Lucar précisément, à quelques encablures de la ville), nos ancêtres comme nous aujourd’hui, allaient et venaient à leurs occupations quotidiennes et habituelles. Ils s’affairaient et la journée s’écoulait lentement. Ce n’est qu’au moment du coucher du soleil qu’une nef en piteux état répondant au nom de Victoria fit son entrée dans le port. Dix-huit hommes à bord. Trois ans plus tôt, ils partirent 237 et revinrent, donc le 6 septembre 1522, 18.

Ces hommes s’en étaient allés avec Magellan et Juan Sebastian Elcano afin de poursuivre l’œuvre de Christophe Colomb et découvrir, encore, de nouveaux mondes. L’histoire est connue, Magellan ne terminera pas la traversée de ce qui fut, finalement, le premier tour du monde réalisé par les hommes. Dans son livre magnifique consacré au navigateur Stefan Zweig écrit : “L’exploit de Magellan a prouvé, une fois de plus, qu’une idée animée par le génie et portée par la passion est plus forte que tous les éléments réunis et que toujours un homme, avec sa petite vie périssable, peut faire de ce qui a paru un rêve à des centaines de générations une réalité et une vérité impérissables.” Peut-être est-ce la première chose que l’on peut noter à ce stade de l’éditorial de cette Ernestine : la volonté humaine peut tout.

Il y a aussi autre chose. Dans cette équipée fantastique menée par Magellan, il y a cette capacité de l’Homme de l’époque – animé par le besoin de découvertes – d’être capable de tout faire pour mener à bien ce projet. Pour le faire advenir et pour convaincre les rois, les commerçants et les forces vives de l’aider dans son entreprise. “Au commencement était l’épice”, s’amuse d’ailleurs Zweig dans le livre.

 Voilà aussi, peut-être, l’autre idée qu’il nous faut retenir pour nos temps troublés. Seul Magellan n’aurait rien pu faire. C’est un collectif, un mouvement, une volonté qu’il a su faire partager qui a permis la réalisation de cet exploit. Mais là encore, Zweig nous prévient sur ce que nous retenons (ou non) de l’Histoire. “Un exploit n’entre pas dans l’histoire du seul fait qu’il a été accompli, mais seulement parce qu’il a été transmis à la postérité. Ce que nous appelons l’histoire n’est nullement la somme des événements qui se sont déroulés dans le temps et l’espace, mais seulement la petite partie d’entre eux qui est passée dans l’œuvre des poètes ou des savants. Que serait Achille sans Homère ? Sans l’historien qui les raconte ou l’artiste qui les recrée sur le plan de l’art les plus grandes figures resteraient à tout jamais ensevelies dans l’ombre et les prouesses les plus héroïques tomberaient irrévocablement dans la mer insondable de l’oubli.”

Arrivés à ce stade, je vous vois chères Ernestiennes, chers Ernestiens, vous vous demandez “Ok, mais quel est le rapport si ce n’est que nous sommes le 6 septembre ?”  Vous avez peut-être raison. Peut-être pas. Si nous commémorons ce matin le 6 septembre 1522 c’est d’abord parce que nous trouvions que de commémorer les 150 ans de la République qui a pourtant 228 ans puisque la 1ère République date du 21 septembre 1792 était une faute de goût même si l’on comprend pourquoi ce choix.

 Plus sérieusement, nous commémorons cela aujourd’hui parce que l’équipée de Magellan, et son récit par Zweig est une source inépuisable d’inspiration.

Inspiration pour celles et ceux qui parfois se laissent aller au découragement, se demandant, par exemple, à quoi cela sert de se mobiliser contre l’obscurantisme religieux alors que seuls deux journaux (dont Ernest, on vous en parle ici) sont venus en soutien à Charlie Hebdo cette semaine en republiant les caricatures de Mahomet. Inspiration, aussi, car cette équipée qui termine un 6 septembre a été d’une difficulté rare. Un seul bateau sur quatre ne reviendra. Seulement 18 hommes.
Dans cette histoire, tout aurait pu mal tourner. Le projet aurait pu ne pas se faire, il s’est fait. Tous les navires auraient pu sombrer par le fond. Un a résisté et est rentré. Il a ainsi pu témoigner et raconter.

“Nous avons là un homme qui, porté par une grande idée, induit en erreur par une information imprécise et d’ailleurs incorrecte, s’est donné pour tâche vitale de trouver le passage qui relie l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique permettant de faire le tour du globe. Mû par une volonté diabolique, il est venu à bout de toute résistance matérielle, il a trouvé des gens prêts à l’aider dans son projet presqu’irréalisable. Fort de sa puissance suggestive, il a convaincu un monarque de lui confier une flotte, il a conduit cette flotte tout le long de la côte de l’Amérique du Sud, plus loin qu’aucun autre marin avant lui. Il a dompté les éléments déchaînés et une mutinerie ; aucun obstacle, aucune déception n’avait réussi jusqu’ici à briser sa fanatique conviction qu’il devait être tout près de ce paso, du but de ses rêves”, narre encore Zweig.

Là encore, cela résonne avec aujourd’hui. Avec nos découragements quant à la capacité de notre pays et de notre République à être à nouveau un mouvement, une idée porteuse, une idée qui fait rêver. Heureusement, dans cette histoire du dimanche matin, il y a des solutions. Une sorte d’happy end en somme. Ne nous remerciez pas, c’est cadeau. Les solutions ou les enseignements, donc. Seuls nous ne pouvons rien, ensemble nous pouvons tout. Il y a également l’acceptation de l’inconnu. Magellan part sans savoir, sans connaître. Il épouse le chemin et, au final, il découvre. Enseignement ô combien intéressant dans notre monde où nous n’acceptons plus – justement – cette part d’incertitude et d’inconnu et que nous sommes effrayés par elle plutôt que de l’accepter comme LA donnée principale de l’équation de vie. Certainement que de méditer ce message éclairera aussi notre réflexion.
 Il y a enfin dans cette aventure, la volonté. Puissante. Indestructible.

Malgré les tempêtes et les attaques pirates. Comme Magellan et son équipage, notre idéal commun d’universalisme républicain subit des attaques pirates de ceux qui sont capables de dire “oui mais” à la liberté d’expression ou de ceux qui pratiquent des accommodements pour acheter la paix sociale. Ce n’est pas une raison pour abandonner. Ce n’est pas une raison pour penser que le combat est perdu. Au fond, chères Ernestiennes et chers Ernestiens, en ce dimanche 6 septembre, et dans les jours d’après, soyons les Magellan de nos rêves, de nos envies et de nos idéaux. Soyons, aussi, les Magellan de notre République qui a entre 150…et 228 ans !

Bon dimanche,

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