Alors que la trêve des confiseurs est là devant nous, que l’épidémie de Covid nous joue un cinquième tour, que des amis s’en vont, que chacun et chacune pressent bien que la campagne présidentielle qui s’amorce peut nous réserver un lot de n’importe quoi jamais atteint, et que finalement la vie est fragile, il est tentant de se désespérer et de ne plus rien attendre.
C’est pourtant la plus mauvaise chose à faire. D’abord parce que la lamentation ne sert jamais à grand chose, mais ensuite parce qu’en se lamentant, nous oublions une chose essentielle. Une capacité propre à l’humain. Une chose qui nous rend meilleurs et plus éclairés. Notre capacité à rire ! Oui oui, les amis vous avez bien lu : le rire.
C’est d’ailleurs le conseil que nous donne Régis Debray dans un livre réjouissant, formidable et magnifique qui vient de paraître. Cela s’intitule “Eclats de rire”. Dans ce petit opus, le philosophe qui vient de subir un accident de la vie, un AVC, s’est mis à noter ses pensées bilan d’une vie trépidante qui l’a mené de Che Guevara à Mitterrand, en passant par la médiologie et tout un tas d’essais plus puissants et brillants les uns que les autres. Dans ces pensées livrées sous forme d’aphorismes, Debray s’amuse. De lui même d’abord : “On se sent un peu refait quand on a voulu refaire le monde et que l’on voit le résultat.” Sans pour autant perdre espoir : “Il n’est pas exclu qu’avec tant d’allers retours l’aller finisse par marquer des points.”
Il s’amuse et le lecteur avec lui de l’époque aussi. Cela pour simplement éclater de rire, et peut-être “inventer une combattive absence d’espoir” ou simplement de retrouver la capacité d’émerveillement des enfants. L’avoir perdue est l’un des malheurs des humains nous dit d’ailleurs Debray dans son livre qui est à la fois une nourriture intellectuelle puissante, un petit doudou plein d’humour et un regard lucide sur le monde. Lucide, mais pas défaitiste. C’est ce qui d’ailleurs en fait tout le charme et l’intérêt. Dans ce livre, un rire de “résistance”, s’invente, se crée et se transmet. De résistance par rapport, simplement, à notre condition d’humain, mais aussi forcément à la marche d’un monde parfois devenu complexe et incompréhensible. La joie est une résistance, parce qu’elle n’abandonne pas. La joie en tant que puissance de vie nous emmène dans des endroits où la tristesse ne nous mènerait jamais, justement parce qu’elle n’a pas cette capacité à nous décentrer par le rire. Rions, les amis pour nous décentrer. Pour revenir, ensuite, dans la ligne de nos existences personnelles et collective. Mais avec une force supplémentaire.
En lisant ce livre de Debray, il est impossible de ne pas retrouver le sourire, de ne pas se rappeler que lorsque l’on est drôle on est vrai. Peut-être parce que l’humour est une sorte de pudeur de la vérité. Peut-être aussi parce que l’on songe à Desproges qui nous invitait à “vivre heureux en attendant la mort”, et donc à faire des blagues et à rire de tout, tout le temps.
C’est peut-être cela qu’il faut nous souhaiter collectivement pour l’année qui va s’engager. Rire ensemble pour fraterniser. Tenter de prendre de la distance avec nos tourments individuels et collectifs. Non pas pour ne pas les résoudre, mais au contraire pour savoir les regarder différemment et donc parvenir à les résoudre ou les atténuer. Pouf, pouf… disait Desproges quand il ne savait pas comment amorcer la transition ou simplement pour perdre son auditoire. Pouf, pouf…
Et si d’aventure en lisant ces lignes, vous avez encore un doute sur votre capacité à rire. Ce n’est pas grave. Debray a une solution : “On éclate en larmes ou bien on éclate de rire ? Les deux mon capitaine. L’essentiel est de procéder par ordre. Commencer par le tristounet mais finir par le drôlatique. Le temps d’apprendre à rire, il n’est jamais trop tard.”
Bon dimanche plein de rires et bonnes fêtes, les amis.
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