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Résistance passive

resistance

Il y a des livres comme ça. Des livres tellement percutants qu’ils s’installent dans nos esprits pour ne jamais plus en sortir. Mieux, non seulement ils s’installent en nous, mais en plus ils résonnent différemment dans notre esprit à mesure que le temps passe. Comme le bon vin, ils évoluent dans la perception que l’on en a et dans le bénéfice que l’on en tire pour mieux comprendre le monde. Ces livres sont des grands livres.

Cette semaine, malgré la lettre de notre mère à tous publiée en exclusivité la semaine passée dans l’Ernestine, le débat identitaire, les idées abracadabrantesques qui visent à interdire la diffusion d'”Autant en Emporte le vent”, ont toujours plus pris de place. Ceux qui veulent nous diviser sont toujours plus nombreux s’en prenant à des faux débats et de faux problèmes. Voilà qu’il faut maintenant détruire les statues, ou débaptiser les salles de l’Assemblée nationale. Puisqu’il en est ainsi et qu’Emmanuel Macron parle ce soir, ici, chez Ernest nous lui suggérons tout simplement de déclarer solennellement qu’il annule tout ce qui s’est passé avant l’année 2020 et que l’histoire et les valeurs désormais en vigueur seront celles de nos meutes diverses et variées de l’année 2020. Comme cela, on sera tranquille. Un peuple sans histoire, mais aussi sans avenir. Au final, l’avenir on s’en cogne, ce qui compte c’est l’émotion du moment. Manu, si tu nous lis, n’hésite donc pas à annuler toute notre histoire. Ce serait historique, justement, et cela permettra aux esprits simples de penser de façon binaire une histoire qui – forcément – est nuancée.

Et là, chers lecteurs, chères lectrices, je vous vois. Je sais qu’arrivés à cet instant du texte, vous vous demandez le rapport avec la première idée sur les livres qui restent et qui résonnent. Patience, c’est dimanche, prenons le temps…. ça y est vous vous êtes installés confortablement ? Oui, je vous vois, dans vos lits, ou tranquillement dans votre canapé. Le rapport, en fait, est simple. Cette semaine, alors que l’imbécile actualité s’égrainait comme au bon vieux temps du monde d’hier avec les tenants du Bien et les tenants du Mal, deux livres ont résonné en moi.

Le premier est peut-être l’un des plus grands uppercuts littéraires jamais reçus. Il s’agit d’Aden Arabie de Paul Nizan. Dans ce récit roman sublime et indispensable, Nizan dresse un réquisitoire contre son monde. Réquisitoire implacable et d’une force incroyable. Mais un réquisitoire subtil, nuancé et rempli d’une fine intelligence. En se prenant par exemple à l’«Esprit», il s’insurge contre les vieillards décorés qui présentent des idées bien dressées, des théories «aux dents limées», sur la psychologie, la morale, le progrès. Ils apprennent à mettre de côté les pensées dangereuses. Nizan les accuse d’être les hypocrites complices de l’injustice, de l’exploitation, du travail forcé. Mais surtout, Nizan alors qu’il y critique notamment le colonialisme (comme les déboulonneurs de statues d’aujourd’hui) parvient aussi à interroger ce qui nous unit grâce à ce qu’il découvre et voit à Aden. A Aden, tous vivent par clans, par religions, par couleurs de peau, par clubs, par maisons de commerce, par régiments. Nizan vit sans chaînes et sans tribus. Il observe le jeu des distances sociales et des degrés hiérarchiques, et s’aperçoit malgré sa révolte contre les usages, le colonialisme, voire la République bourgeoise, que celle-ci ne créé pas de clans et que les hiérarchies sociales n’y sont pas figées. Voilà un message d’un militant plein de nuances qui, s’il ne correspond pas vraiment à notre époque, mérite pourtant d’être rappelé. On ne sait jamais, des fois que l’histoire ne soit pas annulée de suite.

L’autre livre qui a résonné cette semaine est “Bartleby” d’Hermann Melville. « I would prefer not to » répète inlassablement Bartleby, le célèbre personnage de Melville. Littéralement « je préfèrerais ne pas ». Ce copiste employé de Wall Street décide de se rebeller en ne faisant plus ce que son patron lui demande. Il pratique une résistance passive qui laisse planer une stupeur. Bartleby c’est le symbole de celui qui refuse le combat, ou plutôt qui en nuance la violence. Cette semaine à voir et à entendre les éructations indigénistes et identitaires, on s’est souvent dit “I would prefer not to” comme pour aller au combat mais sans violence. Avec des idées, des nuances, des arguments autres qu’un déboulonnage de statues ou des expressions aussi fausses que “privilège blanc”. On a rêvé de Paul Nizan, il n’est pas venu. Voilà pourquoi, on s’est dit que ce serait pas mal de le convoquer avec Bartleby ce matin.

Bon dimanche

L’édito paraît le dimanche matin dans l’Ernestine (notre lettre inspirante. Inscrivez-vous, c’est gratuit) puis le lundi sur le site.

Tous les éditos d’Ernest sont là.

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