L’un des sujets de tout lecteur ou de toute lectrice qui se respecte est de savoir quels sont les livres à mettre dans la VAL (Valise à lire). Avant de laisser les chroniqueurs et les chroniqueuses d’Ernest s’envoler vers des cieux cléments et vers des vacances bien méritées, nous leur avons demandé de nous livrer un conseil de lecture. Pour vous aider à faire votre valise. La diversité et la variété de nos chroniqueurs et chroniqueuses est présente dans ces recommandations. Clairement, c’est pour cela que nous les aimons, et vous aussi ! Première salve avec : Laure Daussy, Jérémie Peltier, Tanguy Leclerc et Guillaume Gonin. Au menu : un papa, un tricheur, un changement de vie et un scénario parfait. Bonne lecture. La deuxième valise est là.
Le coup de cœur de Laure Daussy : “Papa” de Régis Jauffret
Ce n’est pas à proprement parler un « livre d’été ». Mais y a-t-il une saison pour les livres sur les pères ? En 2018, Régis Jauffret découvre un documentaire sur la police de Vichy, et il aperçoit son propre père au pied d’un immeuble de Marseille, arrêté par deux agents de la Gestapo. Personne, dans sa famille, n’a connaissance de cet épisode. Était-il résistant ? Collabo ? Est-ce une reconstitution pour un film ? De cette ignorance la plus totale nait une enquête littéraire sur son père, une tentative de comprendre qui il était, mais surtout de l’imaginer.
Peut-on rêver son papa ?
«A -t-on le droit de rêver son père ? » se demande-t-il. Comment écrire sur son père, lorsque ses propres souvenirs sont si loin ? C’est une réflexion sur la distance envers ceux qui sont censé être nos plus proches, sur l’impossibilité de l’échange au sein d’une même famille, une présence-absence, un éloignement psychologique. L’auteur déploie toute une palette de sentiments ambivalents et complexes envers sont propre père : honte et fierté mêlée. Renaissance par les mots et tentative de discussion avec lui, par littérature interposée.
Ni figure tutélaire écrasante comme le père de Kafka, ni père d’une classe sociale inférieure comme celui d’Annie Ernaux, c’est une autre figure du père que propose Jauffret, celle d’un père énigmatique et que l’on se créé peut-être un peu, pour soi-même, malgré les failles de réalité.
Le coup de cœur de Jérémie Peltier : “Mémoire d’un tricheur”, Sacha Guitry
Pourquoi faut-il emporter ce petit livre de Sacha Guitry dans votre valise ? Tout simplement car il peut sauver vos vacances d’un désastre financier.
On le sait, l’une des principales angoisses de cette séquence estivale, c’est l’argent. Comment en avoir assez pour passer des vacances dignes de ce nom ? Comment faire en sorte qu’il vous en reste un peu pour ne pas terminer clochard une fois rentré à la maison ?
Guitry a la réponse : il faut tricher, surtout dans les casinos. Mais attention, la triche est un sport de professionnel, qu’il faut pratiquer avec conscience et discipline. Après avoir été groom dans des hôtels à Paris et à Trouville notamment, le héros de Mémoires d’un tricheur devient croupier à Monte-Carlo, ce qui lui permet d’apprendre les rudiments essentiels afin de se consacrer à une carrière de tricheur de haut niveau dans les casinos de Aix-les-Bains, Vichy, Cannes ou Évian : « Je connaissais, je crois, toutes les façons de s’y prendre. Tous les moyens de le faire. La direction, d’ailleurs, elle-même, nous les enseigne à nous croupiers. Notre devoir, en effet, n’est-il pas de seconder les surveillants et de leur signaler les personnes qui jouent de manière incorrecte ? ».
Tricher et voler n’ont rien à voir !
Ce qui est intéressant, c’est que le narrateur-croupier devient tricheur après avoir été chassé d’un casino car on avait cru qu’il avait triché en tant que croupier, alors que ce n’était pas le cas. Analyse du narrateur : « Quelle est la première pensée qui peut germer dans la cervelle d’un homme puni pour n’avoir pas triché ? Tricher ! Parfaitement. Et voilà la raison pour laquelle je suis devenu tricheur ».
Quelle que soit l’option que vous choisissez (la triche solitaire, la triche à deux, la triche en bande), vous apprendrez dans ce livre toutes les astuces pour devenir un bon tricheur (la poussette, la récolte des orphelins, la modification de la place d’une mise ne vous appartenant pas), comme un apprenti magicien apprend des tours de magie. Et vous pourrez faire fortune pendant vos vacances sans avoir volé personne. Car n’oubliez pas, tricher et voler n’ont absolument rien à voir : « Voler, c’est prendre à des personnes foncièrement honnêtes de l’argent qu’elles n’avaient pas exposé – et c’est très mal. Tandis que tricher, c’est contrecarrer les intentions du hasard et c’est s’approprier des sommes que des gens avaient eu l’imprudence ou la présomption d’engager dans un but répréhensible de lucre et avec le secret espoir d’être favorisés tout à la fois par le destin et par les fautes de leur adversaire ».
Soyez donc rassuré. Vous n’êtes dans tout ça que le sparring partner du hasard, et rien d’autre. Remplissez-vous donc les poches sans culpabilité. Et profitez de l’été !
Le coup de cœur de Tanguy Leclerc : “Replay” de Ken Grimwood
Combien sommes-nous à avoir songé plus ou moins sérieusement à changer de vie depuis un an ? Combien d’entre nous ont fini par sauter le pas à la suite des bouleversements provoqués par la crise sanitaire de la Covis-19 ? Un paquet, assurément. Mais sans aucune garantie sur l’avenir, évidemment. Car il est impossible de réécrire l’histoire. La solution idéale, qui nous a tous traversé l’esprit à un moment ou un autre de notre existence, serait de pouvoir revivre son passé fort de son expérience d’aujourd’hui.
Si cette idée vous obsède, alors plongez sans délai dans Replay, le formidable roman de Ken Grimwood.
Une expérience de lecture inoubliable
Jeff, le héros du livre, y meurt au bout de la première page d’une crise cardiaque, à 43 ans… avant de se réveiller à 18 ans dans sa chambre d’étudiant, frais et dispo. S’offre alors à lui l’occasion unique de refaire sa vie sans reproduire les mêmes erreurs, avec le précieux avantage de savoir tout ce qu’il va se produire lors des 25 prochaines années.
Mais comme si cela ne suffisait pas, on découvre que Jeff est en fait prisonnier d’un phénomène qui se reproduit indéfiniment, à la même date, et que ce n’est pas une mais des dizaines de vies qu’il se voit obligé de revivre.
Avec cette intrigue haletante et maîtrisée de bout en bout, Kim Grimwood vous emporte dans une réflexion existentielle bien plus profonde qu’elle n’y parait. Car se voir offrir l’opportunité d’influer sur le cours de son histoire et de l’Histoire tout court n’est pas une mince affaire.
Ingénieux, captivant, émouvant, Replay vous fera vivre cet été une expérience de lecture que vous n’oublierez pas de sitôt.
Le coup de cœur de Guillaume Gonin : “Le divin scénario”, Fabrizio Dori
Voici deux ans, je me remettais à la bande-dessinée, redécouvrant les plaisirs oubliés de mon enfance et de mon adolescence. S’ouvrait alors à moi un vaste territoire encore inexploré : les romans graphiques. Ainsi, en papillonnant chez Krazy Kat et Mollat à Bordeaux, je suis tombé sur Fabrizio Dori et son magnifique « Dieu Vagabond ». Une fable délicieuse, qui m’a séduit dès le premier coup d’œil, et que je n’ai cessé d’offrir depuis – guettant avec impatience un nouvel opus de l’auteur italien.
Une fable inspirée !
Or, divine surprise : c’est désormais chose faite, ce dernier faisant équipe avec Jacky Beneteaud pour renouer avec son style onirique et mystique. Ainsi, de la quête d’un satyre déchu, nous passons aux errances d’un ange dilettante sur fond de mythe de l’Annonciation. Entre mythologie et littérature, de l’Olympe à Hollywood, on croise quelques têtes connues, la fresque humaine ainsi esquissée nous rappelant, selon les mots de Tocqueville, que l’Histoire est une galerie de tableaux comportant peu d’originaux et beaucoup de copies. Ainsi, Fabrizio Dori fait des miracles : les illustrations superbes, les différents niveaux de lecture et les inspirations littéraires feront de son « Divin scénario » un compagnon idéal pour vos vacances.
Vous en voulez encore ? La deuxième valise 2021 est par ici. Les valises de l’été 2020 sont là et là.