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La valise des chroniqueurs et des chroniqueuses 2/2

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L’un des sujets de tout lecteur ou de toute lectrice qui se respecte est de savoir quels sont les livres à mettre dans la VAL (Valise à lire). Avant de laisser les chroniqueurs et les chroniqueuses d’Ernest s’envoler vers des cieux cléments et vers des vacances bien méritées, nous leur avons demandé de nous livrer un conseil de lecture. Pour vous aider à faire votre valise. La diversité et la variété de nos chroniqueurs et chroniqueuses est présente dans ces recommandations. Clairement, c’est pour cela que nous les aimons, et vous aussi ! Deuxième salve avec Frédéric Potier, Thomas Mourier, Philippe Lemaire et Laurence Van Gysel. La première valise est là.

Le coup de cœur de Philippe Lemaire : “L’eau rouge”, Jurica Pavicic

Leaurouge AvecbandeauPrixLePointLa Croatie n’est pas qu’une destination touristique. Et Split pas seulement un joli port riche de son passé antique et de ses bars. Sous la paix et la prospérité acquis par sa ville et son pays, Jurica Pavicic vient exhumer les larmes, les cendres et le sang encore frais de l’éphémère nation yougoslave. A l’arrière-plan d’une poignante quête de justice, son roman « L’eau rouge », primé au dernier festival Quais du Polar, fait défiler trente années où tout s’est inversé, les règles, les valeurs et les maîtres. On est en 1989, le régime hérité du maréchal Tito est au bord de s’effondrer, une jeune fille disparaît un soir d’été. Ses parents et son jumeau n’ont rien pressenti.

Un excellent thriller

Mécanisme de thriller imparable : que cachait ce proche que l’on croyait connaître ? L’absence de cette âme solaire, libre et rebelle, est un drame pire que tout, pire que la guerre qui point. La famille et son idée d’un bonheur tranquille se désagrègent, seul le frère veut croire à son retour. Les communistes perdent l’élection, le portrait de Tito est décroché des administrations, les résistants d’hier cessent d’être vus en héros, une vague de bureaucrate les chasse. Il ne subsiste que des traces de socialisme, l’argent de l’immobilier ou de la drogue s’insinue partout et prend le pouvoir. La disparue est peut-être au croisement de ces poussées telluriques qui modèlent la nouvelle société. On avance en aveugle dans ce récit qui fait des sauts dans le temps et des détours par la Suède, la mer de Chine, Toronto, Belgrade et Francfort… A l’épicentre, l’auteur nous ramène sans cesse à la ténacité du frère et aux remords d’un enquêteur, les seuls ici à avoir choisi leur vie. Autour d’eux, « L’eau rouge » dépeint une litanie d’existences subies, paralysées par le chagrin ou égarées dans le nouvel ordre.

« L’eau rouge », Jurica Pavicic, Agullo Noir, 384 pages, 20,50 euros

Le coup de cœur de Frédéric Potier : “De la laïcité en France”, Patrick Weil

WeilDans la valise estivale d’Ernest, je vous propose de glisser le remarquable essai de Patrick Weil « De la laïcité en France » dans lequel ce grand historien revient sur la naissance, puis l’application, de la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Églises et de l’État. En 127 pages seulement, Weil réussit l’exploit de rendre pédagogique un régime juridique souvent incompris. Il revient également sur l’habileté politique tout autant que sur la fermeté des pères fondateurs de la laïcité « à la française » que sont Aristide Briand, Georges Clemenceau et Jean Jaurès.

Simplement indispensable

Deux années de réflexion et de débats ont été nécessaires aux députés et sénateurs pour aboutir à une loi majeure qui régule encore aujourd’hui notre société. Je ne résiste d’ailleurs pas au plaisir d’en reproduire ici l’article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». En dépit du caractère très libéral de la loi, Patrick Weil rappelle l’opposition très dure de l’église catholique qui combattit avec force son application sur différents champs (l’école, les processions, les messes, les sonneries de cloche).

Weil ne se contente pas d’une plongée dans la vie politique de la IIIe République, il aborde avec nuance et discernement les nouveaux enjeux de la laïcité : dérives sectaires, islamisme, formation des enseignants…  bref, un véritable manuel de la laïcité à l’attention des citoyens qui trouveront là une lecture utile et stimulante en ce début d’été. Bonnes vacances !

“De la laïcité en France”, Patrick Weil, Grasset, 14 euros

Le coup de cœur de Thomas Mourier : “L’arbre Monde”, Richard Powers

ArbrempondeAttrapez le démon  sylvestre ou du moins le coup de cœur de Thomas Mourier.

Si les livres sont faits de papier, est-ce que l’on pense aux arbres en les lisant ?

Je vous pose la question, car lire une fiction c’est s’approprier les souvenirs d’un autre : c’est intégrer une somme d’expériences, d’émotions, de connaissances et d’idées tout en prenant du plaisir, en frissonnant, en espérant, en redoutant. C’est un beau moment solitaire qui nous en apprend beaucoup sur nous et sur les autres.

Une expérience littéraire à nulle autre pareille

Je vous pose la question, car jusqu’à la lecture de L’Arbre-Monde de Richard Powers je n’y pensais pas. L’écrivain américain propose un roman atypique dans sa forme où chaque personnage est lié à une essence d’arbre ; où le texte est découpé en plusieurs parties qui rejoignent celles des plantes, racines, troncs ou cimes ; où le choix des mots et de la prose désigne, sans distinction, les arbres ou les humains dans une mise à niveau poétique et politique du vivant.

Grand érudit, Richard Powers distille les dernières connaissances scientifiques en botanique dans son roman, il installe plusieurs générations d’Américains dans la grande histoire du pays qui converge dans son actuelle guerre civile, celle qui ne dit pas son nom, celle du climat et de l’environnement. Les arbres vivent, parlent en eux, s’entraident, et là ce n’est plus de la fiction, ce sont des faits. Powers convoque toute la panoplie des réactions humaines face à ces découvertes récentes dans un beau texte qui s’ancre très fort dans notre quotidien.

Je vous pose la question, car depuis ma rencontre avec ce livre, j’y pense constamment. Je m’arrête désormais devant des troncs, des feuilles, des branches pour connaître leurs noms, leurs histoires, leurs vertus. Je parcours les rayons des librairies en cherchant de nouveaux auteurs, de nouveaux textes comme autant de portes d’entrée vers cet univers souterrain et enraciné depuis le tout premier texte littéraire écrit de l’humanité : L’Épopée de Gilgamesh et sa Forêt des Cèdres gardée par le démon sylvestre Humbaba…

L’Arbre-Monde de Richard Powers, 10/18, 9,90 euros (Ernest en avait d’ailleurs fait l’un de ses livres du vendredi)

Le coup de cœur de Laurence Van Gysel : “Ici commence le roman”, Jean Berthier

RomanicilaurenceLa couverture d’un livre a son importance. C’est elle qui donne le la et va attiser ou non la curiosité du lecteur. C’est ce que nous démontre chaque mois, Tanguy Leclerc, mon confrère d’Ernest, dans sa chronique «  L’attrape couv » .
Le ramage est-il toujours à la hauteur du plumage ? La couverture du livre « Ici commence le roman », réalisée par Vanessa Skotnitsky/Arcangel Images, est très parlante et alléchante. L’intrigue se passe dans le milieu du petit écran. Un roman en grande partie autobiographique écrit par Jean Berthier qui est aussi scénariste et réalisateur et publié aux éditions Robert Laffont.

Le personnage principal est un homme, veuf, bouleversant et attendrissant, qui élève seul sa fille, Élisa. Il est lecteur pour la télévision. Il lit des scénarios, juge les textes et réalise des fiches de lecture pour France Fiction. Il va nous y révéler l’envers du décor : le mécanisme de sélection des scénarios et de leurs adaptations à l’écran. Très intéressant et choquant !

Un roman solaire, touchant, qui fait un bien fou !

Son métier fait rêver. Mais derrière l’image, il y a une réalité qui est toute autre auquel il va être confronté. Une des thématiques du livre aborde le monde du travail, les relations humaines et la place de l’humain au sein de l’entreprise. « Je n’avais été vivant que pour autant que je livrais régulièrement une certaine quantité de marchandise intellectuelle. Seule la détention prolongée de scénarios serait susceptible de les faire s’interroger sur mon sort. Ma disparition n’attristerait personne car avant d’être mort, j’avais été inexistant . »
On y découvre un monde sombre, obscur (symbolisé par la porte), déshumanisé, d’une violence psychologique inouïe. Notamment lors d’un séminaire cauchemardesque à France Fiction. Et une grande solitude. Le lecteur n’a jamais connu la convivialité. En sept ans, il n’a rencontré aucun de ses collègues. Une souffrance en sourdine qu’il va essayer de pallier en rencontrant par tous les moyens un de ses collègues, Konstantin. On ne peut pas dire que ce premier rendez-vous va être un succès. Il découvre « un oiseau de proie » ! Mais surtout un homme brisé. Leur désarroi va les rapprocher et ils vont élaborer un projet.

Un roman qui se lit comme un long fleuve tranquille. L’auteur nous fait réfléchir sur le sens que l’on veut donner à sa vie, sur nos priorités. Un livre plein de vie et solaire, avec l’amour inconditionnel d’un père pour sa fille . C’est son rayon de soleil et sa raison de vivre. C’est très beau et émouvant. Pour lui faire plaisir, il invente des histoires. Par exemple celle à l’origine du nom du cimetière du Père Lachaise où est enterrée sa femme. Et on le croit ! Au fond, Jean Berthier nous fait comprendre que chacun peut écrire sa propre histoire pour peu que l’imagination et l’inventivité soient là.
Une autre thématique est abordée : celle du deuil qui entraîne le déni. Cet homme souffre de la mort de sa femme, Louise. Il vit à travers elle. Il va devoir la laisser partir pour vivre sa vie. « C’est un beau roman, c’est une belle histoire » mais ce n’est pas une romance d’aujourd’hui mais une renaissance, celle d’un homme, comme aurait pu aussi le chanter Michel Fugain. Une nouvelle page est à écrire avec sa fille. « Ici commence le roman. »

“Ici commence le roman”, Jean Berthier, Robert Laffont, 19 euros.

Vous en voulez encore ? La première salve 2021 est là et les valises de l’été 2020 sont et là.

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  • […] L’un des sujets de tout lecteur ou de toute lectrice qui se respecte est de savoir quels sont les livres à mettre dans la VAL (Valise à lire). Avant de laisser les chroniqueurs et les chroniqueuses d’Ernest s’envoler vers des cieux cléments et vers des vacances bien méritées, nous leur avons demandé de nous livrer un conseil de lecture. Pour vous aider à faire votre valise. La diversité et la variété de nos chroniqueurs et chroniqueuses est présente dans ces recommandations. Clairement, c’est pour cela que nous les aimons, et vous aussi ! Première salve avec : Laure Daussy, Jérémie Peltier et Tanguy Leclerc. Au menu : un papa, un tricheur et un changement de vie. Bonne lecture. La deuxième valise est là. […]

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