Il faut prêter attention aux télescopages. Surtout ceux de l’actualité. Ils disent – parfois – l’absurdité du monde et de la vie, ils soulignent – souvent – nos incohérences, ils viennent – tout le temps – nous tendre un miroir sur ce que nous sommes et sur les choix individuels ou collectifs que nous faisons. Cette semaine, la dictature chinoise a poursuivi son entreprise de mise sous coupe réglée de Hong-Kong. Au-delà des arrestations, des intimidations et des lois scélérates mises en place par la Chine pour dénier à Hong-Kong les libertés démocratiques, un micro-événement est encore venu confirmer l’anéantissement de la démocratie dans l’île autrefois propriété britannique. Dans les bibliothèques de la ville, tous les ouvrages écrits par les leaders des mouvements prodémocratie hongkongais ont été retirés des rayons. Détruire les livres, c’est ce que font tous les régimes autoritaires et dictatoriaux. Certes, la Chine s’est éveillée. En revanche, elle demeure dans les ténèbres pour ce qui est des libertés individuelles. Cette semaine toujours, le Conseil d’Etat Turc a décidé de faire de la Basilique de Sainte-Sophie, joyau orthodoxe classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco et devenu musée, une mosquée. La transformation de Sainte-Sophie en musée avait été l’un des actes symboliquement forts d’Atatürk fondateur de la Turquie laïque. C’est aussi cette semaine que nous fêtons le 14 juillet, notre fête nationale. Celle qui marqua la victoire de la philosophie des Lumières, de la pensée rationnelle, de la conciliation de l’individualisme et de l’universalisme. C’est tout cela à la fois notre 14 juillet. Et pourtant, cet universalisme est devenu l’ennemi.
« Pour les nouveaux antiracistes et convertis de fraîche date, l’universalisme doit être détruit avec autant de rage que la laïcité française. Car de l’universalisme découlent la laïcité, mais aussi cette ambition qu’ont les intellectuels français de penser pour l’humanité.Quand la France proclame des droits et des principes, c’est avec pour horizon non pas les frontières étriquées de l’Hexagone, mais celui de la terre entière. C’est précisément ce qui insupporte les communautaristes qui ne conçoivent le monde qu’à travers le prisme étroit des identités particulières », écrit Riss avec une justesse puissante dans Charlie Hebdo cette semaine. Charlie défends-moi, disait l’autre. Il avait raison. Dans ces trois télescopages d’actualité, un dernier. Celui qu’au fond, nous Français, ne savons plus vraiment être fiers et conscients de ce que nous sommes.
Nous n’avons plus la volonté d’essaimer ailleurs nos idéaux. Voici, peut-être, ce que nous pourrions souhaiter en ce 14 juillet. Se penser collectivement et individuellement en questionnement mais aussi comme ce pays qui imagine. Ce pays qui crée de l’Utopie. Nous le devons, certainement, aux manifestants d’Hong-Kong, qui ont pris un portrait d’Albert Camus et l’une de ses phrases : « L’art est une révolte » comme symbole de leur mouvement démocratique. Nous le devons, aussi, aux militants laïcs turcs qui craignent le retour d’un conflit de religions. Nous nous le devons, enfin, à nous mêmes. Car être Français, c’est aussi savoir que l’on est habitant du monde. ”Il n’y a que les Français pour être tout à la fois, et selon les circonstances, les plus bavards ou les plus discrets de tous les hommes”, écrivait Alexandre Dumas. Et si nous téléscopions cette idées avec le reste ?
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