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Un Rocard sinon rien !

Rocard

Cette semaine, pour la rentrée politique, Frédéric Potier a choisi de nous parler d’une biographie de Michel Rocard. L’occasion de revenir sur la trajectoire puissante et complète d’un homme de gauche, au franc-parler légendaire et à la méthode politique inspirante.

Chers Ernestiens,

Pour amorcer la rentrée en douceur, je vous propose la lecture de la biographie que le jeune historien Pierre-Emmanuel Guigo consacre à Michel Rocard. Décédé en 2016, Michel Rocard a profondément marqué l’histoire de la gauche et ce n’est que justice qu’une biographie politique revienne sur un parcours très riche allant de la contestation de la guerre d’Algérie au début des années 1960 à la défense des pôles arctiques et antarctiques dans les années 2010. Pierre-Emmanuel Guigo, fort de très nombreux témoignages recueillis auprès des proches de l’ancien Premier Ministre, mais aussi de Michel Rocard Rocard lui-même, revient sur toutes les grandes étapes de sa vie.
De son enfance il rappelle la place du protestantisme et du scoutisme, dans l’ombre d’un père (Yves Rocard) grand résistant, grand scientifique, à l’origine de la bombe atomique française. Le jeune Rocard, rebelle, refuse de suivre les traces paternelles et s’inscrit à Sciences Po où il prépare et réussi l’ENA (dans la même promotion que Jacques Chirac). Mais la vie politique, intellectuelle et syndicale rattrape vite le jeune homme. Assurément iconoclaste, il s’inscrit au PSU où cohabitent toutes les tendances de la gauche des trotskistes aux anciens radicaux en passant par les syndicalistes issu de la CFDT.

Ernest Mag Couv RocardMichel Rocard se fait connaître dans le bouillonnement gauchiste de mai 1968 avant d’être candidat à l’élection présidentielle de 1969. Cette même année, il réussit l’exploit de battre à l’occasion d’une législative partielle dans les Yvelines l’ancien Premier ministre Maurice Couve de Murville. Il accède au statut de jeune espoir de la gauche non communiste, au moment même où des doutes apparaissent sur la capacité de François Mitterrand à arrimer le Parti communiste à sa stratégie de conquête du pouvoir. Rejoignant le Parti Socialiste, il théorise l’opposition entre deux gauches, l’une qui serait jacobine, marxiste, étatique, et une deuxième gauche volontiers sociale-démocrate, plus girondine, ouverte sur la société civile. La “deuxième gauche” est née et Rocard cherchera à l’incarner. Petit bémol, on regrette que l’ouvrage passe autant de temps à décrire les organigrammes de campagnes (pas toujours concluantes) de Rocard et assomme un peu le lecteur sous une avalanche de noms. Si l’entourage de Rocard était bien une galaxie, le lecteur n’éprouve pas forcément le besoin d’en connaître toutes les étoiles.

En revanche, l’un des mérites de cette biographie politique est de revenir dans le détail sur des périodes moins connues de la vie politique de Michel Rocard. Alors que Mitterrand souhaitait placardiser son rival Rocard en le nommant Ministre chargé du plan, celui-ci profite de cette fonction sans pouvoirs réels pour faire reconnaître l’économie sociale et pour renforcer les politiques d’aménagement du territoire (c’est la naissance des CPER bien connues de nos amis lecteurs technocrates). Nommé Ministre de l’agriculture en 1984, Rocard qui n’a jamais vécu qu’en région parisienne, se passionne pour les questions de quotas, de financement européens, d’enseignement agricole. Nommé Premier ministre en 1988, il réussit à ramener la paix en Nouvelle-Calédonie grâce à un engagement personnel très fort et à sa fameuse « méthode » mélangeant étude minutieuse des dossiers, recherche du compromis et longues négociations. Guigo revient sur le bilan des trois années passées par Rocard à Matignon : la création du RMI, le vote de la loi Evin contre l’alcoolisme et le tabagisme, la réforme de du service public… etc. Il n’élude pas les gros ratés non plus : l’affaire des collégiennes voilées de Creil en 1989 ou la loi d’amnistie pour les financements politiques de 1990.

Rocard, une méthode, un langage

A noter, pour les passionnés de cette période, que sortira à la rentrée aux presses de Sciences po un ouvrage consacré à “Rocard, Premier ministre” qui lui aussi reviendra sur les nombreuses réformes de la gauche entre 1988 et 1990. Révoqué par Mitterrand qui trouvait que son Premier ministre réussissait trop bien et finissait par lui faire de l’ombre, Rocard échoue à redresser la gauche. Le départ de Matignon le laisse amer et désorienté. La liste qu’il conduit aux européennes de 1994 est torpillée par la liste concurrente de Bernard Tapie soutenue en sous-main par l’Elysée et c’est Lionel Jospin qui reprend le flambeau à la présidentielle de 1995 et qui accède à Matignon à l’issue de la dissolution ratée de Chirac 1997. Dans les années 2000, devenu député européen, Rocard, toujours aussi curieux, se passionne pour des sujet aussi différents que les logiciels libres, les investissements d’avenir, le développement de l’Afrique ou la protection des pôles.

Figure marquante, de nombreuses personnalités revendiqueront d’ailleurs à un titre ou à un autre l’héritage rocardien : Valls, Hamon mais aussi Édouard Philippe et Emmanuel Macron. J’ai eu pour ma part l’opportunité de rencontrer Michel Rocard à deux reprises, la première fois comme jeune étudiant pour une conférence lumineuse à Pau consacrée à l’édit de Nantes et à la tolérance en politique, la seconde en 2015 à l’occasion du sommet France-Océanie tenu à l’Élysée où j’accompagnais Manuel Valls. Malgré l’âge et la fatigue, Michel Rocard portait toujours un regard vif et curieux sur les affaires du monde et n’hésitait pas à faire usage de son fameux franc parler.

Cette biographie politique est particulièrement utile à l’heure où la gauche s’interroge sur son avenir. Les différentes facettes de Rocard, bien décrites par Pierre-Emmanuel Guigo, rappellent le rôle essentiel des idées politiques, des appareils et organisations militantes ainsi que de la communication. Bref, un livre utile en cette rentrée politique, qui en appellera d’autres.

Pierre-Emmanuel Guigo “Michel Rocard”, Perrin

Tous les essais transformés de Frédéric Potier sont là.

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