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Hugues Serraf : “Le roman est LE lieu de la liberté totale”

Huguesserraf

C’est l’histoire d’un journaliste qui aime l’universalisme et le progressisme. Un jour, dans son hebdomadaire, débarque un nouveau directeur. La ligne sera désormais néo-progressiste, différentialiste, intersectionnelle etc…Au départ, il s’en accommode, mais les ennuis arrivent vite. Avec “Le dernier juif de France”, Hugues Serraf signe le livre de l’été. Entre Maupassant et Thierry Jonquet en passant par Philip Roth ! A ne manquer sous aucun prétexte. Entretien.

Dernier Juif Couv V5 RVB 300x457Est-il possible de faire de la bonne littérature complètement immergée dans le réel ? Éternelle question dont la réponse varie. Parfois, en immergeant trop une intrigue ou une histoire dans le réel, l’auteur perd de vue la construction de cette histoire au sens littéraire du terme. Parfois c’est l’inverse et on se dit que l’immersion dans le réel est juste un prétexte. Parfois, au contraire, l’équilibre est parfait et l’on passe un moment de lecture charmant. C’est le cas du quatrième roman d’Hugues Serraf « Le dernier juif de France » publié aux éditions Intervalles. Ce roman d’Hugues Serraf tombe à point nommé. C’est sans conteste le livre de l’été ! Un grand morceau de littérature, de drôlerie, d’intelligence, et de finesse.

Notre roman de l’été

Dans ce roman, Hugues Serraf met en scène le critique cinéma d’un grand hebdomadaire parisien Vision qui fait face à la transformation de son métier de journaliste, mais aussi à la mutation de son hebdomadaire plutôt social-démocrate et universaliste en héraut du néo-progressisme. Au départ, cela ne lui pose pas fondamentalement de problème, il est bien trop désabusé, mais quand on lui explique que son papier sur le dernier Woody Allen n’est pas vraiment le genre de trucs que l’on a envie de lire dans Vision, où qu’il se rend compte que l’agression d’un rabbin à Sarcelles ne suscite pas réellement d’indignation dans la rédaction, il réalise qu’un changement profond est en train d’advenir.

A travers cette histoire, Hugues Serraf interroge nos représentations, il interpelle le lecteur aussi sur les nouvelles croyances et les nouveaux emballements pour défendre telle ou telle minorité. Il questionne aussi la dérive vers une société identitaire au détriment d’une société universaliste. Ce livre est un cousin de « Ils sont votre épouvante et vous être leur crainte », de Thierry Jonquet ». Ce qui en fait le roman de l’été c’est qu’il est écrit tout en finesse, avec subtilité et humour et est rempli de rebondissements inattendus. C’est un grand roman de la France d’aujourd’hui. Pour prolonger le plaisir de lecture, nous avons discuté avec l’auteur.

Y a-t-il eu un moment déclencheur qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

Hugues Serraf : Non, c’est l’ambiance générale qui depuis longtemps m’interpelle et me pèse. Cette ambiance, j’avais envie d’utiliser les outils du romancier pour la raconter et la montrer. J’ai choisi l’univers médiatique, mais j’aurais aussi pu mettre mon héros dans le milieu universitaire où les renoncements et les accommodations sont très nombreux et où l’universalisme est devenu complètement ringard. Comme dans une partie de la presse.

Pourquoi avoir choisi la fiction et le roman plutôt que l’essai ou l’enquête journalistique ?

Hugues Serraf : Après avoir longtemps été journaliste, je ne le suis plus désormais, j’avais envie de raconter des histoires. Désormais, après quatre romans, mon métier c’est d’être écrivain. Un écrivain se sert du réel pour raconter des histoires. L’écrivain tente avec de la fiction de montrer le monde à un instant T et en fonction de son propre regard. L’horizon idéal de mon projet était d’écrire un « grand roman français », sur le modèle des « grands romans américains » qui savent comme aucun autre capturer une époque, un moment, un pays. En plaçant mon histoire et mes personnages dans ce contexte de l’antisémitisme montant, de la mutation de la presse et de la radicalité politique, je l’immerge dans notre époque. Dans le roman, tu es plus libre tant sur la forme que sur les propos. C’est LE lieu par excellence de l’histoire et des histoires en toute liberté.

En choisissant de plonger les personnages dans l’époque actuelle, vous choisissez aussi de vous frotter à celle-ci. Comment la qualifieriez-vous ?

Hugues Serraf : L’époque est assez effrayante quand on y songe. L’autre jour, des étudiants ont déboulonné une statue de Cervantes à San Francisco. Certainement qu’ils ont dû penser que Cervantes était un conquistador… Nous vivons dans une forme d’absurdité de la radicalité actuellement. On peut en rire. C’est ce que je fais dans le roman. Mais il faut aussi en prendre la mesure. Toute la mesure et ce que cela veut dire pour notre collectif de citoyens.

Certains personnages, dont Léon Nykras le nouveau directeur de Vision qui met en place cette ligne néo-progressiste, sont des portraits au vitriol de personnalités connues (Edwy Plenel, en l’occurrence)…

Hugues Serraf : En effet, j’ai choisi de portraiturer certains personnages de notre réalité en créant des êtres fictifs. Ce qui est amusant pour le romancier, c’est de partir des discours réels pour ensuite créer un personnage plausible et percutant. Nykras est en effet très plénélien. Tout ce qu’il dit dans mon roman pourrait être réel. En étant inspirés par des gens de la réalité, les personnages de roman ont plus d’épaisseur, plus de chair, plus de fraîcheur.

“L’humour nous permet des pas de côté”

Votre livre oscille entre le drame et l’humour… A quoi sert l’humour dans cette histoire ?

Hugues Serraf : L’humour c’est l’outil du pas de côté, c’est ce qui permet aussi à la gravité d’exister. L’humour c’est ce qui parle à notre intelligence. L’humour nous permet aussi de décompresser de la gravité. C’est pour cela que j’ai aimé mettre en place cette situation gravissime du frère de mon héros victime d’une agression antisémite, qui fait des blagues malgré tout et qui se prend la tête sur la politique d’Israël avec son frère. Sans cette soupape humoristique, la gravité nous immobilise.

Votre roman est aussi une façon de défendre l’universalisme, la maman de la copine du héros en est l’un des symboles, mais ce n’est pas la seule… C’était l’un de vos objectifs ?

Hugues Serraf : Restons modestes, mais il est vrai qu’il nous manque des voix pour porter l’idéal universaliste aujourd’hui. L’imaginaire américain a une telle emprise sur nous que nos réactions collectives deviennent similaires. C’est un profond changement de paradigme pour notre pays. Pas forcément vers le mieux.

Quel est le livre qui vous a donné le goût de la lecture ?

Hugues Serraf : Difficile à dire. Le choix du journalisme a été pour moi un pis-aller. J’ai toujours voulu écrire. J’ai lu très tôt. Beaucoup d’auteurs américains. Mais aussi du Maupassant, et du Marcel Aymé. Je lis également beaucoup d’auteurs juifs américains : Potok, Roth qui est mon auteur fétiche, Salmon Auslander etc..

Le classique qui vous tombe des mains ?

Hugues Serraf : J’ai essayé plusieurs fois de m’attaquer à « A La recherche du temps perdu ». J’ai calé à chaque lecture. Un ami vient de me conseiller de l’écouter lue par Guillaume Gallienne. Cette semaine, je pars marcher sur les chemins de Compostelle, je vais l’écouter en marchant. On verra…

“Je piquais des pièces de 5 francs à ma mère pour acheter des livres”

Le héros ou l’héroïne que vous auriez aimé être ?

Hugues Serraf : Je n’ai pas tellement la culture du héros.

Le premier livre acheté avec votre argent de poche ?

Hugues Serraf : Ma mère rangeait des pièces de cinq francs dans une grande boîte de bonbons Quality Street, je lui piquais en cachette quelques pièces pour aller acheter des livres de la bibliothèque verte.

Quel est le livre qui vous fait toujours pleurer ?

Hugues Serraf : Je ne sais pas si pleurer est le mot exact, mais le livre qui m’émeut toujours c’est « l’élu » de Chaïm Potok. C’est un bouquin immense et fort. J’ai toujours aussi énormément de plaisir à relire Bel-Ami de Maupassant. Il avait déjà brossé tous les travers de la presse et du journalisme.

Le livre que tu partages avec la personne qui partage ta vie ?

Hugues Serraf : Je viens de lui offrir Sapiens de Yuval Noah Harari. Sinon, j’ai envie de lui faire découvrir Philip Roth. Elle veut m’initier à Murakami. Le seul que j’ai lu de lui c’est son livre sur la course à pied et sur le parallèle entre l’écriture et la course (Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, NDLR). Je suis très en phase avec cette idée. Quand tu marches et que tu cours tu gamberges. Je prends des notes vocales avec mon téléphone quand je marche désormais.

Le livre pour ton meilleur ennemi ?

Hugues Serraf : En vieillissant, je me rends compte que ceux qui te cassent les couilles, tu as tendance à les oublier et à les laisser loin de toi. Mais bon, si c’est un ennemi, je lui offrirais mon livre !

Crédit photo de Une : Aurélien Meimaris

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