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Michel, François et nous

Piccoli

Il fut Pierre, Paul, François, Max, Edouard, et même le Pape. Cette semaine, nous avons appris que Michel Piccoli avait quitté la scène. Au-delà de la disparition de l’homme engagé, cette mort de l’acteur Piccoli vient signer, un peu plus encore, la fin d’une certaine époque et d’une certaine idée du cinéma. Celle des films de Sautet, où l’on s’aime, s’embrasse, se saoule, se déshabille, s’engueule, toujours intelligemment avec classe et panache. Celle de ces films où l’on fume des clopes dans les bistrots en devisant sur l’amour ou sur la marche du monde. La mort de Piccoli vient aussi nous rappeler à quel point les personnages de fiction qu’ils soient littéraires, cinématographiques, issus du théâtre ou des chansons sont comme des amis que nous chérissons et qui font viscéralement partis de nous. Toutes ces héroïnes, tous ces héros que nous aimons façonnent nos personnalités. Consciemment ou inconsciemment. Le François incarné par Piccoli dans “Vincent, François, Paul et les autres” est le symbole universel de l’homme qui se débat entre ses rêves de jeunesse et la réalité de son présent. Paul Javal toujours incarné par Piccoli dans “Le Mépris” restera pour nombre d’entre ses amis spectateurs comme l’image de l’amour entre deux êtres qui se fane et qui petit à petit disparaît dans les malentendus et la discorde.

Ces instants de cinéma,  ces moments où ces acteurs – comme des amis – nous transportent avec eux nous constituent. Il en va de même pour les héros célèbres de nos livres aimés. C’est d’ailleurs là toute la beauté de l’art. Toute la puissance de l’art même. Nous rendre familiers des personnages qui nous sont en tous points étrangers et opposés. C’est pour cela qu’une disparition comme celle de Piccoli nous émeut. C’est peut-être pour cela qu’elle nous invite à nous plonger dans nos souvenirs.

Ces souvenirs qui – finalement – sont supérieurs aux hommes en ce sens qu’ils nous survivront toujours. Ces souvenirs dont Kundera parle si bien dans “L’identité”.

“Il faut arroser les souvenirs comme des fleurs en pot et cet arrosage exige un contact régulier avec les témoins du passé, c’est-à-dire avec des amis. Ils sont notre miroir ; notre mémoire ; on n’exige rien d’eux, si ce n’est qu’ils astiquent de temps en temps ce miroir pour que l’on puisse s’y regarder.”

Souvenirs, Piccoli… Déjà les échos des sarcasmes de celles et ceux qui considèrent la nostalgie et le vintage comme des signes de faiblesse se font entendre. Ce sont les mêmes qui nous serinent à longueur de journée les injonctions qui nous ennuient. Il faut “s’adapter“, “ubériser”, “disrupter”, “embarquer” etc… Ces apôtres de la modernité qui oublient au fond à quel point le passé et les souvenirs qu’ils soient individuels, artistiques, ou collectifs peuvent être plein d’à présent. Ce que dit la mort de Piccoli, c’est tout ça à la fois. C’est cette douceur du souvenir. Pas la douceur paralysante et annihilante, mais au contraire, cette douceur qui nous dit qui nous étions, qui nous sommes et qui nous serons. A titre individuel, mais aussi à titre collectif. Dans “Vincent, François, Paul et les autres”, les personnages se débattent avec les souvenirs et avec le passé. Avec le présent aussi. Comme nous tous.

Mais finalement, le film se termine avec un banquet. Dans un bistrot. Joyeux. Avec du vin. Avec des amis. Comme si ces héros que nous aimons mettaient en application la phrase de Kundera (et oui, encore lui) : “le sens de la vie c’est de s’amuser avec elle”.

A nous, maintenant de faire comme nos héros et de nous amuser avec la vie que le Covid-19 ne nous a pas pris. Plein de nos souvenirs, de nos peines et de nos joies.

Bon dimanche,

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