Parfois, l’actualité assèche l’esprit. Parfois, les mots manquent devant le spectacle tragique de notre monde. Des dialogues de sourds, des feux symboles de nos défaites, des procès comme celui du meurtrier de Sarah Halimi qui finalement n’auront pas lieu. Devant cela, on se prend à espérer une nouvelle donne. Autre chose. Différemment. On s’imagine au cœur d’un changement. Et dans ce changement, on rêve de poésie et de beauté.
Et alors que l’on cherchait, en vain, des mots, l’esprit prend le dessus. Il t’imagine, toi, lecteur qui avec ton café du dimanche matin ouvre l’Ernestine pour y trouver de l’inspiration, il songe à toi lectrice qui dans la chaleur du lit non encore quitté parcours les mots du dimanche. L’esprit est maintenant parti. Il divague, il se laisse porter comme le moment du voyage en train, où le roulis nous emmène avec lui dans une forme de méditation. Il aime se laisser aller, ailleurs. Vers de la légèreté pour oublier le fardeau du monde.
Au début de “L’insoutenable légèreté de l’être”, Milan Kundera pose d’ailleurs avec acuité le dilemme des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Cette oscillation permanente entre légèreté et pesanteur. Il écrit : “Le plus lourd fardeau nous écrase, nous fait ployer sous lui. Nous presse contre le sol. Mais plus lourd est le fardeau plus notre vie est proche de la terre, et plus elle est réelle et vraie. En revanche, l’absence totale de fardeau fait que l’être humain devient plus léger que l’air, qu’il s’envole, qu’il s’éloigne de la terre et de l’être terrestre. (…) Ses mouvement sont alors aussi libres qu’insignifiants”.
Et Kundera de conclure : “La contradiction lourd-léger est la plus mystérieuse et la plus ambigüe de toutes les contradictions”.
A cet instant, l’auteur des mots du dimanche cherche l’équilibre entre le fardeau du monde qui en pesant sur chacun de nous, oblige à vivre une vie plus réelle, et la légèreté qui si elle nous rend aériens en nous en rendant plus libres, nous fait partir loin du réel. Au fond, l’équilibre est peut-être à trouver dans l’authenticité de nos démarches de vie et dans la sincérité.
Peut-être est-ce d’ailleurs ce qui fait défaut -aujourd’hui – à nombres d’acteurs politiques ou d’intellectuels. Être dans la posture trop lourde plutôt que dans une recherche d’équilibre entre le lourd et le léger. Kundera nous donne encore une clé : “En travaux pratiques de physique, n’importe quel collégien peut faire des expériences pour vérifier l’exactitude d’une hypothèse scientifique. Mais l’homme, parce qu’il n’a qu’une seule vie, n’a aucune possibilité de vérifier l’hypothèse par l’expérience de sorte qu’il ne saura jamais s’il a eu tort ou raison d’obéir à son sentiment.” Agir avec le cœur et au présent, en somme. C’est d’ailleurs ce que disait avec légèreté et profondeur Robert Desnos dans son poème Demain écrit en plein milieu de la seconde guerre mondiale.
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir: Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent
Chères lectrices du fond du lit, cher lecteur buvant le café, nous vous souhaitons un dimanche poétique en équilibre entre lourdeur et légèreté. Dans l’interstice gris qui s’immisce entre le blanc et le noir.
Cet édito est initialement paru dans L’Ernestine, notre lettre inspirante du dimanche matin. (Inscrivez-vous, c’est gratuit). Il parait ensuite, le lundi, sur le site.
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