4 min

Écrivains : éloge de la patience, l’exemple Yourcenar

Ernest Mag Yourcenar

Un Arthur Rimbaud ou un Raymond Radiguet, de par leur précocité, ont tourmenté plus d’un écrivain en attente de succès. Il n’y a pourtant pas de quoi paniquer. Les hommes et femmes de plume n’assoient leur notoriété, bien souvent, qu’au mitan de leur vie.  Marguerite Yourcenar fait partie de ces écrivains, à la fois ambitieux mais longtemps travaillés par le doute. Jusqu’à sa consécration, à 47 ans, grâce aux Mémoires d’Hadrien. Cela faisait près de trente ans qu’elle mûrissait son œuvre. Récit d’un éloge de la patience.

« La gloire se donne seulement à ceux qui l'ont toujours rêvée », prévenait le Général de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. Mais combien, parmi ceux qui l’ont rêvée, ont connu cette gloire ? Difficile à dire, car cela s’exprime rarement de manière claire, tel un immodeste désir qu’on préfère dissimuler. C’est seulement a posteriori, après avoir connu cette renommée, que Marguerite Yourcenar a pu glisser cette confidence à Bernard Pivot : « Enfant, j’ai désiré être quelque chose d’important ». Mais cette pleine reconnaissance, elle a attendu l’âge de 47 ans pour s’en voir consacrée. De la manière la plus éclatante qui soit pour une écrivaine : la publication d’un best-seller international. Les Mémoires d’Hadrien figure parmi les « 100 meilleurs livres de tous les temps » selon le Cercle norvégien du livre. Une œuvre qui a intégré la récente publication de la liste des 100 romans qui ont le plus enthousiasmé Le Monde depuis sa création. Dès sa publication en 1951, ce livre voyage dans le monde entier grâce à ses multiples traductions. Marguerite Yourcenar, qui naviguait depuis près de trente ans dans le monde des lettres, entre ainsi dans ce cénacle restreint des écrivains dont la plume devient poids lourd. Et dont l’œuvre traversera la mort de l’auteur. En somme, elle était déjà devenue immortelle avant de devenir Immortelle. D’ailleurs, son entrée à l’Académie française bousculera bien plus l’institution multi-centenaire qu’elle-même. Pour preuve, elle ne daignera même pas siéger au-delà de la cérémonie d’investiture.

Interminable accouchement littéraire

Si Les Mémoires d’Hadrien remporte un succès, c’est d’abord par son format. Cette « autobiographie » d’un mort, par son audace, frappe le public. Elle, femme, se coule dans la peau d’un homme, Hadrien. Et quel homme ! Sous sa plume, elle ressuscite un empereur disparu au IIème siècle de notre ère. Le Grand Cœur de Jean-Christophe Ruffin, qui reprend le même procédé en 2012 pour évoquer l’argentier Jacques Cœur, se réclame de la filiation du livre de Marguerite Yourcenar. Au-delà du format, c’est le thème qui interpelle. Hadrien, biberonné d’hellénisme, était pétri de valeurs humanistes, qui font encore écho aujourd’hui. Il était certes un guerrier, mais n’a-t-il pas rendu des territoires pour gagner la paix ? Si bien que, même après sa mort, Rome a pu engranger les dividendes de cette tranquillité aux frontières pendant des décennies. Ses velléités pacifistes raisonnaient avec force dans le monde de l’après-guerre. Enfin, l’histoire d’amour entre Hadrien et Antinoüs, tragique mais romantique, apporte une touche sentimentale... Et sulfureuse. Bossuet n’avait-il pas écrit qu’Hadrien avait « déshonoré son règne par ses amours… » ?