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Patrick Bouchain : “La littérature pourrait réveiller l’architecture”

Lgda2018 Patrick Bouchaincphilippe Breard Ville Du Havre

Patrick Bouchain est un architecte iconoclaste, inclassable et touche à tout. Il vient de remporter le grand prix de l'Urbanisme 2019. Alors qu'un débat s'engage autour de la reconstruction de Notre-Dame, rencontre avec un homme qui croit en la force littéraire de l'architecture.

Nous avions rencontré Patrick Bouchain lors du  festival « Le goût des autres » au Havre en 2018. La force de cet évènement est l'entremêlement de la littérature avec les autres formes d’art. On y découvre que l’architecte entretient une intense familiarité avec la littérature. Que le bâti puisse attiser une plume, on le devine aisément. Plus étonnant : Patrick Bouchain, architecte anticonformiste présent au festival, soutient que les architectes doivent puiser leur matière première dans la littérature. Cet entretien que nous n'avions pas publié jusqu'ici est le fruit d'une rencontre forte et passionnante avec un homme qui croit, comme chez Ernest, que la littérature peut tout.

Comment la littérature nourrit-elle l’architecture ?

L’architecture a perdu cette idée d’être nourrie par la vie, par une épopée ou par un récit. On a produit une architecture fonctionnelle construite uniquement sur la base de normes, notamment des normes sociales. J’ai toujours pensé que la littérature était un moyen de raconter des choses abstraites sur la vie, que cette abstraction était une source pour la création architecturale. Quand j’enseignais, plutôt que de donner un programme (on construit une piscine, un hôtel, etc.), je donnais toujours à lire à mes étudiants des romans policiers. On essayait de découvrir à l’intérieur de l’œuvre littéraire des choses encore plus essentielles sur la vie que les enquêtes sociologiques. Les sociologues ont tué l’architecture et c’est la littérature pourrait la réveiller.

Mais le cinéma ne représente-t-il pas un art encore plus inspirant pour les architectes ?

WhitmanSi vous diffusez un film, vous modélisez forcément le regard. Il y a donc davantage d’interprétation dans la littérature qu’il y en a dans l’image.  Si vous devez réaliser une piscine, par exemple. Certes, il faut respecter des contraintes : un bassin, une certaine longueur du couloir de nage, une température de l’eau etc. Mais allons plus loin : pourquoi les hommes ont-ils besoin d’équipements en ville dans lesquels on se baigne ? Cela traduit-il le désir de se baigner dans un étang, une rivière, comme le faisaient nos ancêtres ? Pour le comprendre, on peut lire les poèmes de Whitman sur la nature, le corps, l’eau. Et on essaie de déterminer si la piscine correspond plutôt à un désir d’être nu, de se laver, de nager, d’être en apesanteur, etc. Et grâce à cette réflexion, on détermine si on a besoin d’un bassin rectangulaire, s’il faut carreler son fond, etc. On ne vient peut-être pas à la piscine pour un entraînement olympique, on souhaite peut- être avant tout parler à son voisin sur un banc. Ou bien on souhaite peut-être montrer son corps.