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D.Brasseur : “L’acte d’amour ultime est de faire de quelqu’un un personnage de roman”

Diane Brasseur

Il y a des auteurs que l'on suit par habitude. Il y a des auteurs que l'on suit pour des besoins professionnels. Et il y a des auteurs que l'on suit parce que l'on croit réellement à leur capacité à aller à chaque livre vers le mieux. Encore et toujours. Diane Brasseur est de cette dernière catégorie. Dès son premier livre, Les "Fidélités", nous fûmes dans d'autres lieux,  certainement le premier à dire à quel point elle avait réussi un très grand tour de force, celui de nous surprendre et de nous intéresser à l'histoireDianebrasseur d'un homme qui a une maîtresse et qui ne parvient pas à choisir entre cette dernière et son épouse. Avec le deuxième (Je ne veux pas d'une passion), elle récidivait, un peu dans la même veine et nous narrait les affres de la passion.

Avec son dernier roman "La Partition" (dont Ernest fut le premier média à parler), toujours aux éditions Allary, Diane Brasseur fait plus que de franchir un pallier dans son œuvre. Elle change de dimension et d'échelle. Son écriture devient plus ample et plus riche encore mais reste d'une accessibilité déconcertante. De même, l'ambition du roman est puissante. Elle mêle histoire de famille (la sienne), mais aussi la féminité, et la question de la transmission. Quand nous avons lu ce sublime roman, nous avons forcément eu envie d'aller en parler avec Diane Brasseur lors d'un long déjeuner au Louvre Ripaille, le meilleur bistrot de Paris. Le tutoiement avec Diane est de rigueur. Non pas pour une connivence, mais parce qu'avec les auteures que l'on aime, il est impossible de faire autrement. Rencontre.

Photos PATRICE NORMAND

Comment ce livre est venu à toi ? Qu’est-ce qui t’a donné le coup d’envoi ?

Je savais qu’il existait une correspondance entre ma tante et mon oncle, je n’ai connu ni l’un ni l’autre. J’avais plein d’éléments sur l’histoire. Je savais que ma grand-mère avait été contrainte d’abandonner l’un de ses enfants, je savais qu’il y avait eu beaucoup de migrations entre différents pays. Je savais que la correspondance était là. Mais le jour où j’ai eu envie de la lire, impossible de remettre la main sur les lettres. Cela n’a fait qu’amplifier mon envie de les avoir en main. Et d’imaginer quelque chose autour. Nous les avons finalement retrouvées. Je me souviens du texto de ma mère « avons trouvé les lettres ». Je suis allée en Suisse les chercher, je me suis plongée littéralement dedans. Très rapidement, je suis tombée sur une lettre qui est dans le livre où mon oncle raconte que cela fait un an qu’il est seul en Suisse, qu’il a passé une nuit de cafard et il se demande pourquoi il ne deviendra jamais un artiste. « Je suis un érudit, j’ai l’intelligence d’un professeur. Je ne deviendrais jamais un artiste ».

Diane Brasseur 06C’est cette phrase qui t’intéresse au départ… pourquoi Bruno K (le personnage de ton livre) n’est-il pas devenu  l’artiste qu’il aurait pu être…

Exactement. Je ne comprends pas en le lisant pourquoi il n’est pas devenu écrivain. Et plus largement, pourquoi il n’est pas devenu musicien. Mon autre intérêt de romancière était aussi que je savais qu’il y avait eu une dispute initiale dans ma famille avec l’abandon que ma grand-mère avait dû faire. J’avais envie de comprendre.

A partir de là, qu’est-ce qui te fait décider de partir vers l’imaginaire et le roman pur, plutôt que de raconter de manière linéaire l’histoire de ta famille ? Pourquoi la fiction et pas l’autofiction ?

Au début, j’ai écrit à la première personne. Mais je me suis assez vite ennuyée. Cela a été spontané de partir s’amuser du côté de la fiction un peu ample. Tout en restant attachée au réel puisque je me suis battue pour que les lettres ne soient pas du tout retouchées par les correcteurs de chez Allary Editions. Cela était la seule chose à laquelle je ne voulais pas toucher et il était crucial pour moi de faire vivre l’écriture de Bruno. En revanche, je suis partie d’une personne existante pour créer un personnage. Pour moi c’est l’acte d’amour ultime : faire de quelqu’un un héros de roman. J’avais envie de dire à cet homme que je l’aimais.

"En ramenant de la nuance et de la complexité, l'écrivain tente de s'approcher de la vérité"