“Être noir n’existe pas”. C’est la thèse de l’essai vivifiant de Tania de Montaigne que notre chroniqueur essais, Frédéric Potier a particulièrement apprécié. Haro sur les obsédés de l’identité. Humains, simplement humains.
Par Frédéric Potier
J’étais sur scène la semaine dernière avec la comédienne et essayiste Tania de Montaigne. Enfin, pour être précis, Tania de Montaigne jouait sur la scène du Théâtre le Liberté de Toulon (co-dirigé par l’excellent Charles Berling) une pièce évoquant la ségrégation aux États-Unis dans les années 60, et moi je participais plus modestement au débat qui s’en est suivi. Le débat avec le public fut passionnant car Tania de Montaigne a beaucoup de choses à nous dire. Sur son métier de comédienne, sur le regard des autres, sur son refus d’être réduite à une couleur de peau, ce qu’elle fait dans un petit ouvrage intitulé L’Assignation. Les Noirs n’existent pas sorti courant 2018 chez Grasset et qui mérite d’être lu.
Tout d’abord Tania de Montaigne revient avec humour sur la notion “d’appropriation culturelle” qui a fait des ravages aux États-Unis. En gros, pour résumer, il est interdit à des personnes de s’approprier tel ou tel symbole culturel propre à des “communautés” si elles n’en font pas partie. Sur cette base, la chanteuse (blanche) Katy Perry s’est excusée d’avoir porté des dreadlocks dans un clip, coiffure censée être réservée aux personnes noires. Cette folie idéologique a abouti également à ce que des restaurants universitaires ne servent plus de sushis et de tacos car leur préparation ne “respectaient” pas les canons du genre. Des cours de Yoga ont aussi été débaptisés et rebaptisés cours d’étirements car le professeur n’était pas hindou. Bref, on essentialise et on enferme des individus dans des codes et des symboles culturels. Attention, le premier breton que j’attrape avec un béret basque de travers (qui est béarnais soit dit en passant), je le poursuis au tribunal ! Et tant pis pour les amateurs de Rugby ! Bien sûr, je blague. Quoique.
Le problème de tout cela est que ce genre de théorie nourrit un racisme qui ne dit pas son nom. “Avec la Race tout est simple, on est ce que l’on nait, Seul le sang et l’ADN font loi. Plus besoin d’être en relation avec l’autre, d’écouter, de penser, il suffit de regarder : voir c’est savoir”. Le plus terrible est que les religions ont elles-même été racisées. Les médias parlent des Musulmans ou des Juifs de France, sans nuance, sans distinction, comme des blocs monolithiques qu’ils ne sont absolument pas. Parle-t-on ainsi des athées de France ? Seraient-ils d’accord entre eux sur quelque chose ? On en discute quand vous voulez à la maison… mais on risque d’être à l’étroit.
Et si on en finissait enfin avec les obsessions identitaires ?
Tania de Montaigne nous rappelle également que les représentations et les préjugés évoluent. Au 19e siècle, les grands théoriciens de la supériorité des races, tel Gobineau, considéraient que les Noirs n’étaient pas fait pour courir en raison de leur moindre “vigueur musculaire”. C’était avant l’abolition de l’esclavage et de la ségrégation raciale aux États-Unis. Aujourd’hui, c’est l’inverse, on trouve des sélectionneurs de football grassement payés pour considérer que le Noir peut à la rigueur faire un défenseur puissant mais pas un meneur de jeu intelligent… Tania de Montaigne dézingue dans la foulée les pseudo notions de “musique noire”, en rappelant que Jesse Norman a passé toute sa vie à chanter du Mozart et du Wagner (mais oublie de signaler qu’à l’inverse Eminem ne s’est pas fait connaître pour ses talents de chanteur d’opéra). Les obsessions identitaires, voilà ce qui menacent nos sociétés. Tous ces tarés qui veulent nous enfermer, si besoin par la violence (cf. Christchurch), dans des cases, ou plutôt dans des cellules. Les Noirs avec les Noirs, les Blancs avec les Blancs, les Juifs avec les Juifs, les Musulmans avec les Musulmans… et les vaches seront bien gardées (comme on dit dans la campagne béarnaise).
Pour finir, “Qui est cette Noire au nom de blanc ?” s’interroge l’auteur. Car, oui ami lecteur, Tania de Montaigne est son vrai nom. La classe. La grande classe. J’en suis jaloux. Un prénom d’aristocrate russe et un nom d’écrivain bordelais illustre qui ne sont pas réservées aux Blancs. Et c’est tant mieux. L’Assignation, voilà le piège. Merci à Tania de Montaigne ne nous aider à le conjurer avec talent, humour et finesse.
Toutes les inspirations d’Ernest sont là.