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Pour l’irrévérence et le blasphème

Ernest Mag Charlie Irreverence

Ne pas oublier et défendre pied à pied, chaque jour, la liberté d’expression, l’irrévérence et le droit au blasphème. C’était l’une des promesses que la République et la nation toute entière s’est faite à elle-même le 11 janvier 2015 au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Cette remise en cause profonde de l’irrévérence et du blasphème avait toutefois commencée bien avant 2015. C’est ce que rappelle le livre indispensable dont Frédéric Potier nous parle ce mois-ci.

Par Frédéric Potier

Ernest Mag Eloge IrreverenceLes éditions Grasset ont, en ce début de printemps, l’excellente idée de publier les plaidoiries des avocats de la défense lors du procès qui s’est tenu en février 2007 à propos de caricatures se moquant de l’islam publiées dans Charlie Hebdo. Les deux avocats en question ne sont pas n’importe qui. Richard Malka, avocat historique du journal, n’a pas seulement une voix qui porte, il a aussi une plume. Il est l’auteur de nombreuses bandes dessinées et a aussi publié l’an dernier un très bon roman intitulé “Tyrannie” que je vous recommande. Georges Kiejman, autre grand ténor du barreau, a été plusieurs fois ministre de François Mitterrand, avant de devenir son avocat. Pour autant ce n’est pas pour ses effets de manche ou ses formules rhétoriques qu’il faut lire cet incroyable document, c’est pour le fond. Car de quoi ce procès était-il le nom ? Ce procès est rentré dans l’histoire comme celui des “caricatures”. Pas celles des affreux jojos de Charlie. Non, il s’agit de 12 dessins publiés par un journal Danois le Jyllands-Postan en février 2005 et que par la suite plusieurs journaux européens ont republié par solidarité face aux nombreuses menaces.

Ce procès est donc celui des caricatures de Mahomet, mais encore plus précisément c’est le procès du droit ou pas à blasphémer. Et c’est là que les plaidoiries de Malka et Kiejman apparaissent lumineuses et essentielles en ces temps remplis d’obscurantismes : elles dégagent de manière limpide la frontière entre le droit à l’irrévérence envers une croyance religieuse et l’incitation à la haine envers des groupes de personnes en raison de leur religion. Dit autrement, le droit français (jamais contredit par le droit européen) offre la possibilité de critiquer l’idée même de la religion (c’est le droit au blasphème reconnu depuis la Révolution). La jurisprudence s’avère constante en la matière, et les avocats ne manquent pas de s’appuyer dessus. Il n’existe pas de “protection du sacré” ou de droit au respect de croyances religieuses. Un journal satirique peut donc critiquer, même violemment, même outrageusement, une religion, tant qu’il ne s’attaque aux croyants eux-mêmes. Je peux critiquer le catholicisme/l’islam/le judaïsme mais pas inciter la haine à l’encontre des catholiques/musulmans/juifs.

Les victimes du 7 janvier nous manquent

Ce droit au blasphème est essentiel. Il nous vient des Lumières. Il n’est pas aussi partagé qu’on le croit dans le monde. Régulièrement on voit apparaître à l’ONU des motions proposant d’interdire le blasphème au nom du respect de la liberté religieuse. Ce combat des Lumières, cet acquis magnifique, ne doit pas être oublié ni relativisé. François Hollande et François Bayrou étaient d’ailleurs venus tous deux apporter leur soutien à Charlie à cette occasion.
Dans la préface de cet ouvrage, Anastasia Colosimo rappelle ainsi que ces deux plaidoiries ne sont pas “de simples pièces extraites d’un dossier classé” mais “représentent un manifeste vivant et vivace des libertés, plus indispensable que jamais”. Un morceau d’éloquence à la gloire du droit au blasphème. Et on pense tout au long de ce livre évidemment aux victimes de ce mercredi 7 janvier 2015. Et on se dit que, vraiment, ils nous manquent. Et que le meilleur hommage qu’on puisse leur rendre, c’est peut-être de lire ces deux plaidoiries, d’acheter Charlie et de ne pas se retenir de rire devant une Une bien blasphématoire.

Toutes les inspirations d’Ernest sont là.

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