Alors que nous sortons à peine de la journée internationale des droits des femmes, qu’il est évident qu’il ne faudrait pas une journée, mais une égalité réelle et que ce combat doit être mené de concert par les femmes et les hommes, notre rôle de média dédié à la littérature, aux mots et à la façon dont la culture peut enclencher des changements profonds dans les mentalités, est aussi de poser une question. Et si pour faire advenir une égalité réelle entre hommes et femmes que nous appelons de nos vœux, il fallait aussi modifier les mots ?
Changer les mots, selon certains et certaines, permet de changer la perception et donc de modifier les comportements et les mentalités. C’est ainsi que certains avancent l’idée que le mot “fraternité” est forcément connoté, qu’il ne concerne que les hommes et qu’il est donc l’une des constructions mentales de la non-égalité réelle entre femmes et hommes. Ces derniers proposent deux termes : sororité ou adelphité. Ici, nous ne parlerons pas de sororité puisque si la fraternité ne concerne que les frères, il en va de même pour sororité qui ne concerne que les sœurs et donc crée un déséquilibre similaire.
Quid d’Adelphité ? Ce mot vient du grec et étymologiquement signifie “utérin” ou “matrice”. Ainsi, comme dans l’utérus ou dans la matrice les sœurs et les frères, seraient ainsi à égalité. Le mot est habile et porte un sens. L’essayiste philosophe Florence Montreynaud a étudié le terme. Elle écrit : “Un mot inventé, pour un sentiment à imaginer, à rêver, à réaliser, peut-être, en ce XXI° siècle. Le mot adelphité est formé sur la racine grecque adelph- qui a donné les mots grecs signifiant sœur et frère, tandis que dans d’autres langues (sauf en espagnol et en portugais, ainsi qu’en arabe), sœur et frère proviennent de deux mots différents. Englobant sororité (entre femmes) et fraternité (entre hommes), l’adelphité désigne des relations solidaires et harmonieuses entre êtres humains, femmes et hommes.”
Se réapproprier l’histoire des mots
Évidemment, à l’opposé d’autres arguments émergent. D’abord cette idée selon laquelle créer un mot de toutes pièces, sans un ancrage, sans une longue histoire et sans une appropriation ne peut pas avoir de sens. C’est la fameuse construction interne inhérente à chaque langue qu’a analysé le linguiste Ferdinand de Saussure. Ainsi, difficile de créer ex-abrupto un usage nouveau et donc une mentalité nouvelle. Argument de poids. Reste une piste. Retrouver justement le sens et l’histoire des mots.
Quelle est l’histoire de notre mot “fraternité” ? Ce n’est pas une histoire seulement de frères et d’hommes. La fraternité, lorsqu’elle est imaginée par les révolutionnaires de 1789, puis plus tard par tous ceux du 19ème siècle est plutôt un état d’esprit, une philosophie. Traiter l’Autre (homme ou femme, peu importe en frère). Le frère ici étant celui à qui l’on veut du bien, à qui l’on a envie de porter assistance et avec qui on a envie de construire un édifice commun. Idéal commun et solidarité en somme. Résonance ô combien puissante avec la façon dont Florence Montraynaud parle de “l’adelphité” justement : “des relations harmonieuses entre des êtres humains, femmes et hommes”. Comme si finalement, la clé était non pas de changer les mots, mais plutôt de se souvenir de leur ancrage, de leur histoire, et de leur sens profond. Débat difficile à trancher.
Le changement de mot permettra-t-il de faire que les choses aillent plus vite ? Y réfléchir permet déjà de se réancrer. Ensuite, il s’agira de savoir comment mettre vraiment ce sens profond en application concrète et réelle. Nous revenons à la question de notre rêve de la semaine passée. Passer des mots aux actes. Ensemble.
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