“Regarder”, ce roman de Serge Mestre nous fait découvrir ou redécouvrir Gerda Taro, photographe de talent, femme libre et féministe et compagne de Robert Capa. Un délicieux moment de lecture à ne rater sous aucun prétexte. Une inspiration pour aujourd’hui et pour demain.
Dimanche dernier dans l’éditorial « pour Ernestine » de notre newsletter (pour vous inscrire c’est là), nous formions le rêve pour les femmes de demain d’une égalité enfin réelle. Nous rappelions combien ce rêve était le rêve d’aujourd’hui et de demain. Sans pour autant oublier que ce rêve est aujourd’hui possible parce d’autres, surtout des femmes, l’on fait avant nous. Un roman récent et sublime nous invite une nouvelle fois à en prendre conscience. Ce livre est signé Serge Mestre, il s’appelle “Regarder” et a paru aux éditions Sabine Wespieser. L’histoire débute en 1933 à Leipzig alors que Gerda Pohroylle (qui deviendra ensuite Gerda Taro), jeune juive est arrêtée par les sbires nationaux-socialistes après une action de résistance (lâchage de trac anti Hitler du haut d’un toit) perpétrée par ses frères. Elle répond avec aplomb, liberté et dédain. Gerda a déjà une personnalité hors normes. Dans sa cellule, elle séduit ses codétenues bluffées par son audace et sa joie de vivre. Gerda Pohroylle est de ces femmes lumineuses, cosmiques et entraînantes. Gerda partira ensuite à Londres, puis à Paris où elle fera la connaissance de André Friedman, qui sera plus tard – grâce à Gerda – Robert Capa.
Une femme d’hier inspirante pour aujourd’hui
Ce portrait ciselé qu’en brosse Serge Mestre montre une Gerda féministe, libres de ses amours, de son corps et de ses engagements. Surtout, ce portrait romancé où tout est pourtant vrai est le portrait d’une femme des années 30 qui résonne avec une acuité folle avec aujourd’hui. Les luttes de Gerda sont similaires aux luttes des femmes d’aujourd’hui. Quand Gerda s’insurge contre son compagnon le grand Robert Capa qui ne lui accorde pas le droit de signer ses photos, elle préfigure les luttes des femmes actuellement pour être sur la photo au même titre que les hommes et notamment dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Plus largement à la lecture des mots exquis de Serge Mestre, pour raconter les années 30 mais aussi la façon dont Gerda Taro a toujours voulu faire mentir ce qualificatif dégradant de “Capa’s girl” qu’Hemingway (que l’on a connu plus inspiré) lui avait accolé, on se prend à penser à tout ce que subissent encore les femmes d’aujourd’hui comme propos hallucinants et l’on se dit que de s’inspirer aujourd’hui de Gerda Taro donne forcément du courage aux femmes d’abord, mais aussi aux hommes. Capa sans Taro n’aurait pas été Capa. Ce passage du livre en dit d’ailleurs long sur l’influence positive et intelligente que Gerda a eu sur Robert.
Gerda Taro nous inspire également en ce sens qu’elle n’a jamais abdiqué. Elle n’a jamais renoncé à l’un de ses principes de liberté qu’elle chérissait : “Je ne pourrais jamais être la femme d’un seul homme” a-t-elle dit dès le début de leur histoire à Capa. Le point ici n’est pas de discuter de la faisabilité ou non de cette affirmation ni encore moins de son bien fondé, mais elle dit une chose puissante et importante : “ne pas renoncer à ce que nous avons décidé d’être”. Toujours et avec opiniâtreté. D’ailleurs, la mort de Gerda Taro, à 27 ans (comme tous les génies du rock : Morisson, Hendrix, Joplin, Cobain etc…), correspond à cette antienne de ne jamais abdiquer. Gerda Taro est morte écrasée par un char républicain espagnol en 1937 alors qu’elle s’était engagée depuis le départ pour cette République espagnole qui a été tuée par Franco. Puis vient le jour de sa mort que Serge Mestre raconte avec une intelligence et une douceur rare. En romancier. Ce jour là Gerda Taro – alors que les Républicains avaient quasiment tout perdu – ne désespérait pas de prendre une photo d’un avion allemand ou d’un char franquiste en feu. Cela pour disait-elle “que l’espoir continue de vivre”. Elle n’a pas réussi à prendre ce cliché. Et un accident est survenu. Privant ainsi le monde d’un regard à nul autre pareil.
En lisant le livre de Serge Mestre et en se replongeant dans l’histoire de cette photographe oubliée pendant des années avant que ses photos ne soient retrouvées par hasard dans une valise mexicaine, on se dit que l’histoire de cette femme devrait être racontée aux petites filles et aux petits garçons de nos écoles. Une femme qui s’est toujours pensée comme égale des hommes et qui n’a jamais abdiqué sur ce qu’elle avait choisi pour elle-même. Cela serait inspirant, révolutionnaire et surtout logique tant Gerda Taro est une héroïne intemporelle, joyeuse, lumineuse et actuelle. Cette histoire nous permettrait de regarder le monde différemment. Regarder, cela tombe bien, c’est justement le titre de ce merveilleux livre de Serge Mestre.
Serge Mestre, “Regarder”, Sabine Wespieser Editeur.
Toutes les inspirations d’Ernest sont là.