Interpeller une personnalité sur son rapport aux livres n’est pas chose si aisée. Souvent ces dernières, malgré un parcours remarquable dans leurs disciplines respectives, ont des réticences à parler de livres. Peur de ne pas être légitimes. Audrey Pulvar, elle, adore parler de livres. Elle en parle avec gourmandise, délectation, et ravissement. La discussion pourrait durer et ne jamais s’arrêter. Nous n’avions d’ailleurs pas envie de nous séparer. Après la rencontre des SMS furent échangés sur les différentes lectures en cours ou à venir.
Audrey Pulvar a été journaliste à la télévision sur France 3, à France Inter, puis chroniqueuse du samedi soir chez Ruquier, directrice des Inrockuptibles, mais aussi membre de l’émission d’infotainment de Laurence Ferrari sur D8. Un parcours protéiforme qui dit, aussi, le côté passionné d’Audrey Pulvar. Elle agit selon ses envies et ses coups de cœur. Toutefois, parfois l’image que l’on peut retenir d’elle est celle d’une personne – un poil – superficielle. Clairement, il n’en est rien. Parler avec Audrey Pulvar de son rapport aux livres, c’est comprendre la complexité du personnage. Ses forces et ses faiblesses. Ses outils, aussi. Ceux qui lui permettent d’avancer dans la vie. Aujourd’hui Audrey Pulvar a quitté le journalisme politique pour la Fondation Nicolas Hulot – Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) qu’elle préside et au sein de laquelle elle défend – évidemment – une prise de conscience écologique toujours plus grande, mais aussi plus largement une prise en compte de nouveaux indicateurs de développement. Combat politique et humaniste qui rejoint en partie ceux des auteures qu’elle vénère. Audrey Pulvar a aussi écrit. Un roman initiatique “l’Enfant-bois” au Mercure de France, un essai “La femme” chez Flammarion et deux livres sur ces personnalités – femmes libres et hommes libres – qui ont fait ce qu’elle est devenue. Des livres passionnants à plus d’un titre et notamment par ce qu’ils fond découvrir des personnalités comme Nina Simone par exemple.
Ainsi, avec Audrey Pulvar, il fut donc question de littérature. De celle qui nous fait vaciller sur nos bases. De celle qui construit et qui laisse une trace sur notre corps ou dans notre esprit. Ce fut un voyage littéraire exquis avec des escales chez John Irving, Patrick Chamoiseau, Toni Morrison, ou encore René Char, James Ellroy et Herbert Liberman. En route pour ce voyage entre les lignes de milliers de pages.
Comment qualifieriez-vous votre relation avec les livres ?
Audrey Pulvar : Complètement passionnelle. Pour moi le livre est une chance. Tous les jours, je me dis que j’ai eu une chance immense de ne pas naître aujourd’hui, mais de naître à une époque où le livre avait encore une place dans la vie des gens. Où les sur-sollicitions n’existaient pas. Le téléphone portable n’existait pas. Ma grand-mère m’a appris à lire quand j’avais quatre ans et j’ai eu le cadeau immense d’aimer cela et d’avoir ce plaisir de la lecture. Aimer lire est vraiment une chance et une bénédiction. Ce que cela apporte est tellement puissant. Pour cela, il faut avoir rencontré le livre, rencontré l’objet. En fait, quand j’étais enfant j’ai beaucoup lu. Même des livres plus complexes que ce que lisent les enfants en général.
Par exemple ?
J’ai dû lire mon premier Balzac vers neuf ans et demi. Je suis tombée dedans. J’ai adoré Balzac que j’ai lu durant toute mon adolescence. Je me souviens encore de l’édition reliée du Père Goriot et de la Peau de Chagrin offerte par ma grand-mère… A l’adolescence, j’ai aussi lu les grands classiques européens : Zola, Stendhal, Maupassant… A l’époque j’étais en Martinique et donc avec une influence sud américaine. J’ai eu une période avec Garcia Marques, Vargas Llosa, Isabel Allende, puis Irving Faulkner, Joyce Carol Oates. Au moment de mes études, j’ai commencé à lire beaucoup de livres politiques. Aujourd’hui, je lis plus que la moyenne, mais moins qu’avant. D’abord, parce que je passe mon temps à travailler, ensuite parce que les séries télé sont chronophages ! Mon époque professionnelle bénie fut lorsque j’étais à France Inter où tous les jours je présentais un livre même si le côté plaisir de la lecture était un peu affadi.
“J’aime penser que les poètes sont les législateurs secrets du monde”
Il faut rencontrer l’objet livre disiez-vous…Quel est le premier livre que vous avez rencontré ?
Balzac a vraiment été une découverte. Avant cela, j’ai lu Alice, le. Club des Cinq ou Oui-Oui. Mais on ne découvre pas véritablement l’objet livre comme cela. Vers 7-8 ans j’ai eu envie d’autre chose et là j’ai découvert les contes des 1001 nuits. Ce fut un grand moment. Alexandre Dumas aussi.
C’est quoi un livre réussi pour vous ?
C’est un livre universel. C’est de la littérature déjà. Je pense que c’est un livre qui touche quelque soit l’endroit où on le lit. C’est un livre qui réveille quelque chose en nous. C’est un peu comme un Charlie Chaplin. Chaplin vous le mettez dans n’importe quel endroit du monde, dans n’importe quelle culture, devant des gens de n’importe quel âge, cela fonctionne car il touche quelque chose aux tréfonds de l’être humain.
Quel est le livre qui vous a fait pleurer ?
Oh la la, il y en a plusieurs. Instinctivement, comme ça, je pense au “Monde selon Garp” de John Irving. Après, si vous me demandez quel est mon livre préféré, je répondrais « Cent ans de solitude ». C’est un très très grand roman. Complètement universel. Je me souviens de toutes les émotions que j’ai eues en entrant dans ce livre. C’est marrant parce que c’est un livre dont ma mère m’avait dit « lis-le. Si tu ne rentres pas de dedans pose le et reprend le plus tard ». C’est ce qui s’est passé. Je ne suis pas rentrée de suite dedans. Puis je l’ai repris. Je l’ai adoré, je l’ai relu plusieurs fois.
Je met au même niveau que 100 ans de solitude, un livre beaucoup moins connu : « biblique des derniers gestes de Patrick Chamoiseau ».
“Le monde selon Garp” fut aussi un choc réel. Une émotion dense. Intense. Pure et brute. Cette fresque sur l’histoire de l’Amérique, ces portraits de femmes, le souffle, les tragédies sont bouleversantes. Après, de Irving, mon préféré est « L’oeuvre de dieu la part du diable » est un immense roman. Féministe et puissant.
Sur Ernest, notre devise est de dire que la « vérité est dans les romans ». Pour comprendre le monde, il faut lire de la fiction ?
Cette devise résonne complètement avec mon mantra de vie. Cette fameuse phrase de Percy Bhysse Shelley qui dit que « les poètes sont les législateurs secrets du monde ». Je trouve cela très beau, très juste et très vrai. Les poètes ont des visions justes de la beauté du monde et de ses travers. Ils ont une quête d’élévation et de beauté qui fini par forcément porter ses fruits sur la marche du monde. En revanche, je crois que l’on voit une partie de la société telle qu’elle est dans les romans, mais la réalité est toujours pire que la fiction car, elle, elle se produit. La réalité ne dépasse pas la fiction. Elle se produit.
Le livre qui vous fait rire ?
PG Wodehouse. Les aventures de Jeeves sont fantastiquement drôles, savoureuses, et bien écrites.
Vous disiez être née dans une époque où le livre avait une place. Cela a disparu ou va disparaître ?
Malheureusement, je le crois oui. Cela va disparaître dans longtemps. Mais parce que le livre suppose de prendre le temps, de se couper du reste du monde, de se plonger dans une relation exclusive entre soi et le livre. Cela veut dire oublier le téléphone, l’ordinateur etc… En plus, non seulement c’est exclusif des autres, cela réclame du silence – denrée de plus en plus rare dans nos vies – mais cela prend aussi beaucoup de temps. Deux choses qui disparaissent complètement. Même ceux qui sont le plus éloignés de la modernité, ont de moins en moins de temps. Je prône à la FNH le temps long et un autre sens à nos vies. D’avoir des indicateurs de réussite différents. Toutefois la tendance actuelle, cette bataille de l’attention permanente n’est pas favorable au livre. Non seulement, le monde est de plus en plus rapide, l’exigence de rapidité est profonde et collectivement, on ne supporte pas qu’il soit plus lent. Plus ça va plus lire est un combat. Se mettre dans un canapé ou un hamac pour lire est contraire à tout ce que nous vivons aujourd’hui. Mais il faut continuer à le faire et à le transmettre.
Là, Audrey Pulvar marque une pause silencieuse. Elle se baisse vers son sac à mains et en sort un livre corné qui a vécu. Elle ajoute : « Sinon, j’ai toujours dans mon sac ce livre : recherche de la base et du sommet de René Char »
“La littérature, ce n’est pas seulement raconter une histoire, c’est aussi développer une pensée, travailler sur la langue et rechercher une densité”
La littérature, c’est quoi ? Est-elle forcément élitiste ?
Herbert Liberman, « Métropolis » c’est du polar mais c’est de la littérature. Idem pour de nombreux livres d’Ellroy. La littérature n’est pas élitiste. Mais la littérature, à mes yeux, ce n’est pas seulement raconter une histoire, c’est aussi développer une pensée, travailler sur la langue et rechercher une densité.
Dans la littérature contemporaine, qu’est-ce qui vous plaît ?
Vous me posez une colle. En ce moment, je lis des livres politiques, des livres sur le climat. C’est une colle, car j’ai mes auteurs préférés. Quand ces auteurs vivent encore, je lis leurs nouveaux livres. Puis je relis des grands classiques. Il me reste peu de temps pour la découverte. Toutefois, j’aime Jeanette Winterson, Philippe Jaenada, Chahdortt Djavann, par exemple. Je lis beaucoup de poésie aussi.
Que lisez-vous comme poésie ?
René Char. Aimé Césaire sont mes deux poètes préférés.
Qu’est-ce que la poésie apporte de différent ?
La poésie, c’est abrasif. J’ai la sensation d’être mise à nu par la poésie. Je lis des poèmes tous les jours. Ce sont mes prières à moi. La poésie est un fil à plomb. Elle nous ramène à notre centre palpitant pour affronter des tragédies de vie. Je dis souvent aux gens, quand ils ont une épreuve dans la vie, de relire les poètes et les auteurs qu’ils aiment. Cette rencontre avec la beauté nous transforme et nous aide.
Quid de la BD ?
J’adore ça. Quand j’étais enfant, j’ai lu Astérix, Gotlieb. Ces derniers temps j’ai lu beaucoup Aurel. Son livre sur l’entreprise de son père ou sur les migrants qui partent en Espagne sont d’une très grande beauté.
La littérature, c’est l’art qui vous parle le plus ?
Bonne question. Je ne sais pas si l’on peut dire cela. Je suis aussi fondue de cinéma, de peinture. Sans doute que si je devais choisir un ce serait la littérature. Le choix serait cornélien !
Si vous étiez une héroïne de roman ?
Ce serait forcément l’une des héroïnes de Toni Morrison. Quoique…Ou alors je serai Hope Clearwater dans Brazzaville Beach de William Boyd. Ce personnage de femme mélancolique est très beau. Tout au long du livre, on sent et on sait qu’elle est très différente de la façon dont Boyd la décrit et dont les autres personnages du livre la regardent. J’aime sa complexité et sa tristesse mélancolique.
Cela vous correspond ?
Oui, je m’y retrouve complètement. Différente de l’image que l’on renvoie. Volontairement et involontairement.
Après avoir autant lu, vous avez finalement tenté l’aventure de l’écriture. Ce ne fut pas trop dur d’aimer ces auteurs mythiques et d’écrire soi-même ?
Votre question est étonnante. Car elle résonne avec un rêve récurrent que je faisais enfant. Rêve de petite murs blancs blanchis à la chaux. Table en bois au bout de la table une machine à écrire et une ramette de papier. Je me disais, peut-être un jour écrirais-je un livre.
Je lisais beaucoup à l’époque. Et je n’ai jamais pensé être capable d’écrire quelque chose. Je ne suis toujours pas persuadé de l’être.
“Libres comme elles”, ce sont vos portraits de femmes. Certains sont attendus. D’autres sont très culturels pourquoi ?
Tout cela boucle notre conversation. Ces femmes artistes – auteures, chanteuses etc…- sont celles qui m’ont construite, m’ont soutenue. Nina Simone, par exemple, a su sublimer sa souffrance pour en faire un art. J’aime tellement ce qu’elle est. S’il y a beaucoup de portraits culturels – vous l’avez compris – c’est parce que la culture est une part intégrante de moi. Je ne peux pas vivre sans les arts et la beauté des arts.
Les cinq livres qu’Audrey Pulvar emporterait sur une île déserte.
– Beloved, Toni Morisson
– Harlem Quartet James Baldwin
– 100 ans de solitude, G.Garcia Marques
– L’œuvre de dieu, la part du diable, John Irving
– Recherche de la base et du sommet, René Char.
Toutes les Apostrophes d’Ernest.