Après vous avoir aiguillés sur les 10 livres de l’année à lire durant l’été, Ernest vous emmène sur les chemins du roman noir. Cinq livres. Cinq œuvres différentes mais d’une puissance inégalée. Cinq univers. Cinq moments de lecture uniques.
“L’étoile jaune de l’inpecteur Sadorski” – Romain Slocombe, La Bête noire – Robert Laffont
Un choc ! Une bombe ! Un livre indispensable qui devrait être lu dans toutes les écoles de France. Dans cette « étoile jaune du commandant Sadorski », Romain Slocombe reprend son personnage de l’inspecteur Sadorski, là où il l’avait laissé lors du précédent livre (L’affaire Sadorski, nous vous en parlions ici. Les deux ouvrages peuvent être lus séparément, NDLR). Nous sommes en mai 1942 à Paris. Sadorski est toujours inspecteur aux renseignements généraux. Il est particulièrement zélé dans la façon dont il collabore avec les Allemands. Alors qu’il doit partir en vacances, un attentat a lieu juste à côté du Palais de Justice, et deux jours après, un corps de femme inconnue est découvert en banlieue. Outre ces deux enquêtes, Sadorski doit aussi préparer la rafle du Vel d’Hiv.
Le pitch est simple : vivre la guerre et la collaboration à travers les yeux du salaud. De celui qui a décidé de collaborer et qui le fait avec zèle.
Vertigineux et essentiel
Romain Slocombe signe un livre vertigineux, ambitieux et puissant. Vertigineux en ce sens qu’il prend le parti de montrer la collaboration, la guerre, à travers les yeux des méchants. De manière chirurgicale et sans fioriture. L’écriture de Slocombe est puissante et le propos montre pleinement ce qu’a pu être la France de cette époque. Livre ambitieux aussi puisqu’il se fixe pour objectif outre d’être un très bon roman, d’être aussi une façon de transmettre la mémoire de cette période. Puissant, tout simplement parce qu’une fois que l’on est entré dans cette histoire, impossible de la lâcher. Puissant aussi car, Romain Slocombe se base sur de la documentation historique pour raconter tous les évènements. Surtout Slocombe nous bouscule avec une écriture dense et grâce à laquelle il nous fait littéralement revivre cette époque. Ceux et celles qui aiment la série « Un Village Français » y retrouveront la même intelligence et la même profondeur. Un livre indispensable.
Lire aussi notre interview de Romain Slocombe : “le vel d’hiv c’est une plaie française”
Entre deux mondes – Olivier Norek, éditions Michel Lafon
Un très grand roman noir. De ceux qui prennent aux tripes et ne laissent pas indemnes. Olivier Norek – flic en disponibilité – avait ausculté, les prisons, la justice et les rapports de corruption au sein des villes du 93 (Code 93, Territoires, Surtensions) où il travaillait en tant que lieutenant de police. Avec son nouveau livre « entre deux mondes », il franchit une nouvelle étape. Il a passé deux mois dans la jungle de Calais, s’y est immergé, y a rencontré des gens, et il en a tiré une histoire bouleversante et passionnante. Sur la dureté, sur l’espoir, sur la relation aux autres.
Un roman sensible, puissant, et bouleversant !
Tout cela avec la justesse et l’intelligence d’un roman noir, avec une enquête. Chez Ernest, dans les réunions de rédaction, il y a toujours quelqu’un qui – à un moment donné – dit : « de toute façon, tu sais bien, la vérité est dans les romans ». Ce livre de Norek colle tout à fait à cette maxime. Grâce à l’expérience sensible qu’il nous fait vivre, « Entre deux mondes » nous oblige à réfléchir. Un très grand coup de chapeau à Olivier Norek qui signe là son livre le plus abouti, le plus dur, le plus tendre et le plus émouvant. Le tout mené tambour battant. Un régal à lire et à faire lire !
Lire aussi notre entretien avec Olivier Norek : “Le romancier est un architecte”
“Toute la vérité” – Karen Cleveland – La Bête Noire, Robert Laffont
Voilà encore une trouvaille fantastique des équipes de la décidément très inspirée collection « La bête noire » chez Robert Laffont. Cette trouvaille nous vient des Etats-Unis et s’appelle « Toute la vérité » de Karen Cleveland. Le pitch est simple, mais pas simpliste : Vivian Miller est agent de la CIA, chargée de débusquer les agents étrangers infiltrés sur le territoire américain.
Homeland en mieux !
Déjà lu ? Absolument pas. Le rythme de ce bouquin est survolté, et le propos s’intéresse aussi à toutes les constructions et apparences sociales. Karen Cleveland nous emmène dans les coulisses de la CIA. C’est documenté, rythmé et intelligent. A côté de « Toute la vérité », Homeland, c’est du pipi de chat. Un vrai bon moment de lecture qui vous ravira !
“Journal de ma disparition” de Camilla Grebe – éditions Calmann-Lévy
Camilla Grebe, c’est la nouvelle auteure de polar qui va compter dans les prochaines années. Un « cri sous la glace », son premier roman traduit en français pointait déjà un talent certain pour emmener le lecteur dans des contrées mentales et psychologiques vers lesquelles il ne serait jamais allé. Avec « le journal de ma disparition », Camilla Grebe est encore plus forte. Malin, alors adolescente découvre une fille enterrée dans la forêt. Elle n’a jamais pu être identifiée. Devenue flic, Malin revient au détour d’une enquête pour meurtre sur les lieux de son adolescence. Un lien ? Possible.
A ne manquer sous aucun prétexte
« Ce livre est une bombe absolue. Camilla Grebe peint des personnages dans toutes leurs facettes des plus lumineuses aux plus sombres. Elle sait instiller des rebondissements quand il le faut. La lecture de ce roman est addictive. Elle est même étourdissante mais procure un plaisir intense. Pour moi, c’est le roman noir de ce début d’année qu’il ne faut manquer sous aucun prétexte », nous confie Jean-Edgar Casel de La Griffe Noire. Chanceux que vous êtes, Ernest l’a glissé dans les conseils de l’été et dans l’une de ses boxs de livres.
“Peur” de Dirk Kurbjuweit, éditions Delcourt
Randolph Tiefenthaler, architecte, marié à Rebecca, deux enfants, dans une résidence… Et un voisin : Dieter Tiberius, qui ressemble à la caricature du pauvre hère, solitaire, déprimant, malheureux… mais plutôt amical. Jusqu’au jour où il accuse le couple d’abuser de ses enfants. Tout se déroule à Berlin, dans notre monde.
Thriller psychologique tout en nuance. Virtuose.
Récit complexe, Peur est un grand roman, qui prend la forme d’un thriller psychologique, avec quelque chose de plus, tout en nuances et en zones grises. De la terreur familiale aux peurs ressuscitées de l’enfance, ce sont les vestiges d’une Allemagne ancienne qui remontent. Et, immanquablement, on s’interroge : dans de pareilles circonstances, qu’aurait-on fait ? L’enfer que l’auteur avait lui-même enduré, durant des mois, transparaît dans chaque page, sans que n’intervienne aucune sublimation. Loin d’un texte thérapeutique, on a dans les mains une œuvre lourde de sens. Qui ne prendrait pas des mesures radicales pour protéger sa famille, alors qu’aucun recours légal n’aboutit – ou n’existe ?