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Deslaumes : “explorer les lisières des relations humaines”

DESLAUMES Etienne © Heloise Jouanard

Certains livres, comme certaines rencontres ont une histoire particulière.  Ce “violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner” d’Etienne Deslaumes en fait partie. D’abord parce que sans le conseil d’un ami avisé, je serais certainement passé à côté. Misère de la rentrée littéraire où, inévitablement, on peut rater des pépites. Mais aussi parce que la frénésie du temps qui passe fait que l’on ne parvient pas toujours à rencontrer les auteurs quand on le souhaite. Misère d’un journaliste overbooké.

Et pourtant, quand des situations de vie vous font repenser à des situations lues dans un livre, vous vous dites que décidément ce livre veut vous dire quelque chose. C’est après un long moment que la rencontre avec l’auteur : Etienne Deslaumes a eu lieu. Souvent, les médias littéraires traditionnels se contentent de parler de l’actualité des livres qui viennent à peine de sortir. Chez Ernest, nous refusons cette logique. Aurions-nous dû décider de ne pas parler de ce très beau “Violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner” seulement parce qu’il est sorti il y a plus de trois mois ? Certainement pas. Les livres doivent vivre plus longtemps.

DESLAUMES Violences Basse Def“Violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner” est un roman polyphonique qui commence par la mort (accidentelle ?) d’Armande. Ses proches Emilien, Patricia, Margaux, Christophe, et Aubin se rendent à son enterrement. C’est l’occasion pour chacun de se la remémorer et de raconter un morceau de l’histoire. Dans sa façon de raconter et de décrire les sentiments Deslaumes innove non seulement dans la forme –  en inventant une sorte d’enquête policière psychologique – mais aussi dans le fond sur les propos qu’il fait tenir à ses personnages et aux questionnements qu’il suscite chez ses lecteurs. Cette lecture est un régal. Deslaumes transforme un matériau simple en apparence (les monologues intérieurs de personnes se rendant à un enterrement) en un roman polyphonique percutant et poignant.

Il décrypte avec virtuosité les regrets, les ratés, les secrets, les déceptions, les rêves brisés, les frustrations, les espoirs , les échecs de ses personnages, de leur vie, de la nôtre peut-être… c’est aussi amer que plein de lumière, c’est l’un des plus beaux livres de cette rentrée. Rencontre.

Comment avez-vous eu envie de travailler cette histoire de personnages entremêlés ?

Etienne Deslaumes : D’abord, il y a une logique. C’est qu’il y a une dizaine d’années, j’ai écrit un premier roman dans lequel ces personnages étaient déjà présents. J’ai ensuite écrit tout autre chose pour revenir, dans ce troisième livre à mes personnages un peu fétiches et les faire vieillir. Dans le premier roman, ils avaient 40 ans. Les retrouver dix ans plus tard était intéressant pour le romancier. Après, comment sont-ils sortis de mon imagination ? Il y a une toute petite part autobiographique, mais sinon, j’ai vraiment fait jouer le sens de la fiction et du récit.

Le déclencheur du livre est donc de reprendre les personnages ? Pourquoi cette envie ?

J’avais envie de réfléchir à nos évolutions humaines au travers du destin de ces personnages. Avec l’expérience de la vie, les réussites, les désillusions, les peines etc… ils se posent la question d’une remise en question. Ils changent sans totalement changer. Raconter la comédie humaine de la vie était aussi l’une de mes envies avec ce livre. Ce qui m’intéressait c’était de mixer le regard de mes héros quinquagénaires avec ceux de leurs enfants qui eux sont sur la fin de leur adolescence.

Une chose est interpellante à la lecture. La forme qui est presque celle d’une enquête policière sur la psychologie des personnages, mais aussi sur la mort accidentelle ou non d’Armande, et sur le fond également, avec une peinture quasi humoristique de la vie… Pourquoi ces choix ?

La forme c’est une volonté de prendre le lecteur dès le départ et de l’emmener grâce aux codes classiques de l’enquête dans mon histoire et dans la psyché des personnages. Pour soutenir son intérêt. J’avais une vision panoramique de la vie de chacun des protagonistes. L’histoire était construite, mais je voulais ménager le suspense pour le lecteur.

“Dans la sexualité des gens, il y a beaucoup de lisières”

Cela avec des rebondissements forts…

Oui. C’était essentiel de faire progresser la dramaturgie. J’ai voulu cette construction policière.

L’évènement marquant du milieu du livre est surprenant. Très…Il questionne nos sexualités

Oui. J’aime explorer les lisières et les choses qui ne sont pas tranchées. Dans la sexualité des gens, il y a beaucoup de lisières. Il est toujours intéressant d’aller les titiller. Cela ouvre des dimensions supplémentaires pour le lecteur et aussi pour les personnages dans leur construction.

John Towner 125995Il y a aussi une réflexion tout au long de l’histoire sur les liens entre l’amitié et l’amour. Ces deux sentiments sont-il si différents semblez-vous demander ? Quel est votre sentiment car le livre ne donne pas de réponse ?

Je ne donne pas la réponse car j’aime susciter les questions. Ensuite, je dois dire que je réfléchis tout le temps à cela. L’auteur et la personne que je suis n’ont pas la réponse. Toutefois, je ne suis pas certain qu’il y ait une différence de nature fondamentale entre les différentes rubriques de sentiments. Je crois qu’au fond, les cloisons sont surtout dans nos têtes. Elles sont des constructions et si on y prête vraiment attention, on s’aperçoit qu’elles sont moins nettes, plus poreuses que ce que l’on pourrait penser. D’ailleurs, et c’est aussi l’un des sujets du livre, la relation d’un couple ressemble au fil du temps chez tout le monde à des degrés divers de plus en plus à une relation amicale. L’amitié prend le relais. La sexualité subsiste, mais elle est moins présente et peut aussi être très différente. L’amitié et l’amour peuvent se mélanger souvent. Si cela ne se fait pas, c’est aussi parce que nous le décidons.

Justement, c’est aussi l’un des sujets du livre, au travers des histoires de vie des personnages, vous posez la question de la fidélité charnelle dans le couple…pourquoi ?

C’est en effet l’une des questions que je me pose. A titre personnel je considère que la fidélité est plus souhaitable que l’inverse car je crois que nos sociétés sont construites sur cette idée de fidélité sexuelle. Toutefois, je ne suis pas du tout certain que cela aille de soi et j’aurais même tendance à penser que l’infidélité sexuelle n’est pas réellement quelque chose de grave. C’est peut-être même nécessaire pour la pérennité de certaines relations. Cependant, il est admis – c’est une norme sociale – que nous devons être fidèles sexuellement. Cela veut dire que chacun prend sur lui aussi une certaine forme de frustration ou de peur de la culpabilité. Or, il me semble qu’il y a réellement matière à réfléchir collectivement sur cette norme là.

J’ai toutefois l’impression que vos personnages, eux, dans leur philosophie globale se disent justement que « l’infidélité charnelle » ce n’est pas si grave

En effet. C’est la philosophie globale de mes personnages. Cela pour faire réfléchir le lecteur. Mais dans cette posture, il y aussi une forme de non choix et de manque de courage. La frontière est ténue. Quelque soit le degré d’infidélité charnelle ou de fidélité contrainte des personnages, ils se retrouvent tous face à ce questionnement. Ils sont dans des schémas construits. Ne trouve-t-on pas tous des excuses pour ne pas être courageux et ne pas vraiment choisir la vie que l’on souhaite. Au fond, le personnage le plus pur, c’est Aubin. Il a le courage de dire merde à sa vie bourgeoise, à assumer complètement son homosexualité et c’est le plus pur car finalement, il a beau avoir 26 ans, il est encore assez innocent et crois au Prince charmant. Les autres personnages pataugent dans des compromis assez peu satisfaisants.

“Interroger nos constructions mentales”

La question de la fidélité en amitié, en amour, en sexualité est de fait centrale…

Le point central qui nous ramène à cette question est la réflexion autour du sentiment. Quel qu’il soit. Le sentiment, qu’est-ce que c’est, comment ça se réparti et qu’est-ce que cela implique, c’est vraiment ce que je voulais explorer avec ce livre.

Pouvez-vous nous éclairer un peu sur le titre ?

Je voulais donner un double sens au titre. D’abord jouer sur le côté qualification pénale toujours pour me situer dans cette idée d’enquête. Ensuite, je trouvais intéressant d’utiliser une qualification pénale qui désigne des violences le plus souvent physiques pour parler de la violence psychologique que les relations humaines peuvent parfois revêtir.

Kundera dit que les personnages sont des « égos expérimentaux » des auteurs…Il a raison ?

C’est vrai. Mais pas de manière générale. Cela ne fonctionne pas pour tous les livres. Les personnages ne sont pas des représentations de moi-même. En revanche, il y a des projections. Je crois que j’aurais pu être chacun de ces personnages.

Vous allez suivre ces personnages ?

Oui. Mais en leur laissant le temps d’évoluer. Comme David Lodge. Cela permet aussi de suivre l’évolution de la société. J’aime cette idée du rituel et de montrer que certaines choses sont pérennes.

JournalduncadresuperieurQu’est-ce qui vous pousse à écrire ?

Ce qui me pousse à écrire c’est que j’aime lire des livres. J’ai toujours aimé écrire des historiettes. Il y a 15 ans, beaucoup de choses ont changé dans ma vie, et je m’y suis mis vraiment. C’est devenu – non pas indispensable et nécessaire – mais une envie forte et très présente. Elle est venue avec mon premier roman, puis aussi avec mon livre sur ce cadre supérieur dans lequel je racontais les tribulations professionnelles du cadre que j’étais à l’époque. (un excellent roman à lire, également ! NDLR)

Pourquoi lire Etienne Deslaumes ?

Déjà, faut-il lire Etienne Deslaumes ? (rires), ça ce n’est pas à moi de le dire. Peut-être, parce que l’on s’ennuie pas. C’est mon premier objectif en tant qu’auteur. Ensuite, peut-être parce que je parviens à mettre en mots les questions que tout le monde se pose.

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