Le président de la République, Emmanuel Macron va partir en vacances. Peut-être qu’il devrait prendre le temps de lire ( La liste Ernest des livres de l’été est ici). Puisque c’est un lecteur, ainsi qu’il l’avait “confié” à Ernest. Cela d’autant plus qu’une plongée dans notre histoire politique récente le démontre : pour un président, être lecteur, c’est s’assurer d’une capacité à gouverner plus grande. Enquête.
Comment un étudiant ambitieux peut-il réussir les plus prestigieux concours de la République ? En lisant beaucoup de livres ? Pensez-vous ! C’est surtout en montant une redoutable machine à fiches ! Cet étudiant doit se constituer un cercle de congénères qui rédigent des fiches, substantifique moelle issue de manuels ou d’essais. Faites tourner les fiches. L’ambitieux en absorbe le contenu pour pouvoir finalement le recracher devant le jury. C’est le mode d’emploi qu’un enseignant a un jour dévoilé à destination de ceux qui espèrent intégrer l’ENA. C’est grâce à cette tournante de fiches que les politiques peuvent, une fois arrivés aux responsabilités, prendre la parole sur n’importe quel sujet.
Dans cette machinerie destinée à remplir les têtes des futurs administrateurs, les romans apparaissent bien inutiles. Dénués de tout intérêt autre que le plaisir de lire, ils figurent comme les parents pauvres d’un monde politique dont les acteurs disposent de tout sauf de temps. Depuis dix ans, plusieurs polémiques ont fait état du divorce entre les politiques et la littérature. Il y eut la faute de goût ou le manque de culture « Zadig et Voltaire » par Frédéric Lefebvre, le mépris adressé à la Princesse de Clèves par Nicolas Sarkozy ou le cruel aveu de la part de la ministre de la Culture, Fleur Pellerin qu’elle n’avait pas le temps de lire – dans un contexte où Patrick Modiano s’était vu décerner le prix Nobel de littérature.
L’aura de la présidence brisée par la fin de la présidence littéraire
Les derniers présidents de la République ne sont finalement que le reflet de la relégation de la chose littéraire. Non pas qu’ils étaient incultes, loin de là. Jacques Chirac a ouvert sur le tard son jardin japonais pour nous dévoiler son érudition sur l’art asiatique. Nicolas Sarkozy dévorait frénétiquement les biographies des grands hommes, comme un vade-mecum pour faire cheminer son ambition. Et François Hollande prenait souvent lui-même la plume pour écrire ses discours. Mais ceci étant dit, force est de constater qu’ils ne disposaient pas du même goût pour les lettres ni de la même profondeur littéraire que leurs prédécesseurs.
De Gaulle était un incontestable écrivain au grand style. Ses Mémoires, publiées dans la Pléiade, ont même figuré au programme du bac en 2010-2012. Georges Pompidou, amoureux de la culture, est l’auteur d’une anthologie sur la poésie française. Il a su, le moment venu, puiser spectaculairement dans ce savoir.
Comprenne qui pourra
Moi mon remord ce fut
La malheureuse qui resta sur le pavé
La victime raisonnable à la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée, défigurée,
elle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés”
Sa récitation aux journalistes, survenue après dix secondes de silence embarrassant, de ces vers d’Eluard, est peut-être la plus belle pirouette réalisée sous la Vème République. La littérature faisait alors autorité. Valéry Giscard d’Estaing partageait ce même tropisme littéraire. Aujourd’hui académicien, il nourrissait une admiration particulière pour Maupassant. Idem pour François Mitterrand au tempérament de pamphlétaire, à la plume acérée, entiché d’écrivains et accro aux éditons originales. L’ouvrage Lettres à Anne, recueil de lettres qu’il a adressées à Anne Pingeot, a d’ailleurs, confirmé en 2016 toute l’étendue de la force de frappe littéraire de l’ancien président.
“Un président qui lit, c’est déjà rafraîchissant”, Régis Debray.
Mais que s’est-il passé après Mitterrand ? « Le moule s’est cassé » confie l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt. Et Schmitt d’exhorter Emmanuel Macron à demeurer un président littéraire. Il en avait même fait une tribune dans Le Monde quelques jours avant l’investiture du nouveau président de la République. Selon l’auteur à succès, les successeurs de Mitterrand, moins pétris de références classiques, chérissent moins les lettres. Dommage, regretteront certains. Anecdotique, balayeront les autres. Schmitt lui est pourtant catégorique à ce sujet : il constate que l’affaissement du prestige et de l’autorité des présidents coïncide avec la fin de l’ère des présidents « littéraires ». L’écrivain et philosophe, Régis Debray (dont Ernest a fait l’interview en marchant) ne dit d’ailleurs pas autre chose au sujet d’Emmanuel Macron dans un entretien accordé au JDD. Les présidents, « devraient surtout avoir lu avant d’arriver aux affaires, car après ils n’auront plus le temps. Et l’inculture se paie cher en politique étrangère », assène Debray. Il poursuit : « l’ignorance du monde extérieur et de l’histoire des religions chez nos politiciens à la petite semaine. François Mitterrand était un grand lecteur, de Gaulle aussi ».
Toutefois, il donne un satisfecit à Macron, président lecteur. «L’univers élyséen des derniers quinquennats, les phares étaient plutôt Johnny Hallyday et Bernard-Henri Lévy que Paul Ricœur. Question maître à penser, le niveau monte incontestablement, et c’est tant mieux. Un président qui lit des livres, c’est déjà rafraîchissant, l’avenir dira si c’est prometteur. Après une période politique qui s’est livrée pieds et poings liés à la vidéosphère, avoir quelqu’un aux manettes qui ne donne pas le dernier mot à BFMTV peut susciter une vraie curiosité, disons un sourire, entre l’ironie et l’expectative », détaille le philosophe.
Mais pourquoi aimer la littérature serait-il si important pour étoffer son autorité ? Tant qu’on y est, pourquoi ne pas s’assurer, au pays de la gastronomie, qu’ils savent cuisiner ou qu’ils connaissent les règles du foot, enjeu hautement stratégique en période de championnats internationaux ?
Les arts et les lettres, attributs du souverain
Le fantôme du monarque protecteur des arts et des lettres hante donc toujours nos esprits cocardiers. Un président littéraire, ça permet déjà d’enluminer une image. Impossible de renier son héritage monarchique. Sous François 1er, les arts et les lettres faisaient figure, au même titre qu’un sceptre ou d’une main de justice, d’attributs du souverain. Et même sous la République, la culture densifie la personnalité d’un chef de l’Etat. Lors de leurs meetings, les candidats à la dernière présidentielle puisaient abondement dans leurs références littéraires pour injecter moult citations nourrissant leurs discours. Camus pour Hamon, Braudel ou Sagan pour Fillon, Spinoza pour Macron. Parmi les autres personnalités politiques, si Christiane Taubira impose le respect, c’est aussi grâce à l’assise que lui confère sa culture littéraire. D’ailleurs, pour l’ex-Garde des Sceaux, une chose est certaine : la politique ne peut pas exister sans littérature. “La littérature, confiait-elle à nos confrères est une vigie qui nourrit (son) intranquilité. ”
Évidemment, les Français n’ont pas tous – loin s’en faut – Corneille ou Chateaubriand sur leur table de chevet tous les soirs. Mais la culture leur inspire la respectabilité. Un président doté de ce bagage culturel et littéraire est perçu comme détenteur de cet héritage susceptible de réenchanter le rêve français. Nicolas Sarkozy a pris conscience sur le tard qu’un président, en France, se devait d’être littéraire. C’est la raison pour laquelle, en 2006, il a appelé à ses côtés Henri Guaino pour convoquer « la France de Péguy et de Michelet » à ses meetings. Même une fois élu, il n’aura eu de cesse, pendant son quinquennat, de rattraper son « retard » littéraire, comme s’il s’agissait de gommer une tare. Il y avait quelque chose de cocasse de le voir déambuler, un roman sous le bras, de réunion en réunion, lui qui les avait longtemps dénigrés, faute d’y trouver une matière utile et exploitable. Mais les convertis figurent souvent parmi les croyants les plus fervents.
Lire confère un esprit romanesque
Enfin, être biberonné aux livres depuis l’enfance confère bien souvent une autre qualité au président : l’esprit romanesque. Casanova cite dans la préface de l’Histoire de ma vie ce que l’un de ses instituteurs qui lui avait soufflé un jour : « Si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris au moins des choses dignes d’être lues ». Les présidents littéraires, au-delà de leur volonté d’étaler leur narcissisme, ont à cœur de laisser une trace digne d’être écrite dans l’histoire. Leurs journées ne sont pas uniquement rythmées par les commentaires sur BFM, elles sont aussi inspirées par ce qu’en écriront un jour les mémorialistes. Ils accordent davantage d’égards au temps plus long, celui que laissaient couler un Pompidou avant de réciter de l’Eluard. De Gaulle et Mitterrand avaient une vie romanesque et ont impulsé, une fois à la tête de l’État, la même cadence au pays.
Macron aime François…1er.
Enfin, les présidents littéraires ont appris à bonne école le sens du récit. Ils sont plus aguerris à raconter leur vision du pays aux Français. On a reproché à Nicolas Sarkozy d’user à outrance d’un storytelling maladroit et cousu de fil blanc. On a reproché à François Hollande de ne pas avoir su incarner la tête de l’État, de ne pas avoir réussi à raconter son action au peuple. Emmanuel Macron, en commençant par redonner de la solennité au pouvoir, cherche bien à renouer avec une tradition plus antique. Reste à confirmer si ce littéraire saura se raconter. Finalement, la volonté de se doter d’un président littéraire indique que, même dans un pays où l’on lit moins qu’avant, l’on refuse une présidence normale. L’homme pétri de culture et guidé par un instinct romanesque fascine. Emmanuel Macron, qui avait fait le constat dans son livre Révolution que la démocratie « ne remplit pas l’espace », en est convaincu. Pour lui, il faut « réinvestir ce vide », en redonnant du lustre à la présidence, ce qui passe aussi par la mise en avant d’un président littéraire. Aussi, ne nous trompons pas de François : ce n’est pas le flambeau de Hollande, mais bien celui de Mitterrand et de François 1er que Macron cherche à attraper.
Sur le même sujet lire également notre enquête sur le rapport d’Obama et Macron à la lecture.
Excellent
[…] la troisième raison – Ernest – en a déjà parlé ici et là – c’est le Macron lecteur. Il est intéressant de voir ce personnage parler des textes […]